vendredi 22 octobre 2021

Pourquoi les passereaux déclinent sur certains sites alors qu'ils augmentent sur d'autres ? Car ils se reproduisent tous mal lorsque l'habitat local est de mauvaise qualité

Les oiseaux de milieux agricoles ou bâtis déclinent fortement, alors que les espèces généralistes ou de milieux forestiers se maintiennent, voire augmentent (Fontaine et al. 2021). En sus, les oiseaux hivernants en Afrique tropicale humide déclinent, alors que les espèces résidentes ou migrant vers l'Afrique tropical aride sont en majorité stables, voir en croissance. Ces patrons macroscopiques identifient les changements environnementaux globaux en cours, c'est à dire qui impactent les oiseaux (et la biodiversité) de la même façon sur de très larges échelles spatiales, et dont l'évitement, la réduction et la compensation relèvent d'actions globales (politiques publiques nationales et internationales).

Mais en sus de ces trajectoires communes, on constate que les tendances de taille des populations (abondance) en période de reproduction varient fortement d'un site à l'autre. Cette question a fait l'objet d'une récente analyse européenne (Morrison et al. 2021), utilisant les comptages standardisés (comme le Suivi Temporel des Oiseaux Communs par points d'écoute) pour déterminer les tendances de population pour 13859 sites (80 espèces), et utilisant les suivis par capture-recapture standardisés (similaires au Suivi Temporel des Oiseaux Communs par capture) pour déterminer la survie annuelle adulte et la productivité sur 336 sites (26 espèces). 

Le constat général est particulièrement clair et marquant: au sein d'un même site, les tendances temporelles d'abondance sont très similaires entre espèces, quelles que soient leurs destinations hivernales. Cela nous indique que les conditions locales pendant les 4-5 mois où les espèces se retrouvent dans un même lieu pour s'y reproduire, vont être plus déterminantes pour le devenir des populations locales (déclin ou augmentation) que les contraintes qu'elles rencontreront sur tout le reste de l'année, en migration et/ou en hiver.

Et il s'avère que la productivité présente la même relation (très forte covariation entre sites): sur les sites où la reproduction est mauvaise, elle est mauvaise pour la majorité des espèces - qu'elles soient résidentes ou migratrices (et inversement, quand la reproduction est bonne). La survie annuelle par contre est beaucoup plus variable entre espèces d'un même site (en particulier pour les espèces migratrices), expliquant probablement le déclin généralisé des migrateurs hivernant en Afrique tropicale humide.

Ces résultats nous montrent que, même pour les espèces ne passant que 4-5 mois sous nos latitudes pour s'y reproduire, la qualité de l'habitat de reproduction est déterminante pour assurer leur succès reproducteur, et la pérennité de leurs populations locales. Conserver la qualité des habitats en période de reproduction préserve donc le devenir de l'ensemble des oiseaux communs, résidents comme migrateurs. Ce constat suggère la nécessaire complémentarité d'actions globales (par pression anthropique ou par habitat) et locales (par 'hotspot local' de déclin) visant à améliorer la fonctionnalité des écosystèmes en période de reproduction.

Cette étude a été possible grâce à la contribution de dizaines de milliers de compteurs d'oiseaux bénévoles, et de centaines de bagueurs d'oiseaux bénévoles, dans toute l'Europe. Nous devons cette étude également à Rob Robinson, qui coordonne le programme European Constant Effort Sites pour EURING.

D'un point de vue méthodologique, cette étude est aussi une illustration de l'importance de suivre un protocole commun standardisé. Pour cette étude, seules les sites de Constant ringing Effort Site (dénomination internationale pour le STOC Capture, Robinson et al. 2009) réalisant au moins 8 sessions de capture en période de reproduction ont été intégrés, de manière à ce que les valeurs de productivité (nombre de jeunes capturés par adulte capturé) soient comparables entre sites. Or pour la France, lors du lancement du STOC Capture (Julliard & Jiguet, 2002), nous avons décidé de faire un protocole différent, avec seulement 3 à 7 sessions de capture par printemps. Ainsi, les données du STOC Capture se sont trouvées exclues de cette étude internationale majeure ! C'est la sanction pour ne pas avoir suivi le protocole commun international. Ceci nous rappelle à tous, bagueurs réalisant les protocoles proposés par le CRBPO, et CRBPO participant à des projets internationaux, à quel point il est important de suivre le protocole commun. Le choix de protocole fait pour la France est le fruit d'un compromis donnant sciemment la priorité à la maximisation du nombre de sites (~140 sites par an, ce qui est le plus grand nombre de sites suivis annuellement dans un pays européen), alors que dans les autres pays, la priorité est donnée à la précision du suivi sur chaque site (avec 1 session de capture par semaine ou tous les quinze jours). La priorisation du nombre de sites nous permet aujourd'hui d'autres types d'analyses qui ne seraient pas possibles dans les autres pays (p. ex. la production d'indicateurs locaux d'intérêt relativisés à une référence nationale, permettant l'évaluation d'actions locales sur l'habitat, recommandée par Morrison et al. 2021).

Pour en savoir plus, lisez l'article:

Morrison, C. A., Butler, S. J., Robinson, R. A., Clark, J. A., Arizaga, J., Aunins, A., Baltà, O., Cepák, J., Chodkiewicz, T., Escandell, V., Foppen, R. P. B., Gregory, R. D., Husby, M., Jiguet, F., Kålås, J. A., Lehikoinen, A., Lindström, Å., Moshøj, C. M., Nagy, K., Leal Nebot, A., Piha, M., Reif, J., Sattler, T., Skorpilova, J., Szép, T., Teufelbauer, N., Thorup, K., van Turnhout, C., Wenninger, T., & Gill, J. A. (2021). Covariation in population trends and demography reveals targets for conservation action. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 288(1946), 20202955.

Références citées:

Fontaine, B., Moussy, C., Chiffard Carricaburu, J., Dupuis, J., Corolleur, E., Schmaltz, L., Lorrillière, R., Loïs, G., & Gaudard, C. (2021). Suivi des oiseaux communs en France 1989-2019 : 30 ans de suivis participatifs. MNHN- Centre d'Ecologie et des Sciences de la Conservation, LPO BirdLife France - Service Connaissance, Ministère de la Transition écologique et solidaire. Paris, France. 46 p. (lien vers page internet). 

Julliard, R., & Jiguet, F. (2002). Un suivi intégré des populations d’oiseaux communs en France. Alauda, 70(1), 137–147. (lien direct)

Robinson, R. A., Julliard, R., & Saracco, J. F. (2009). Constant effort: Studying avian population processes using standardised ringing. Ringing & Migration, 24(3), 199–204. (lien direct)

 

Rédaction: Pierre-Yves Henry


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