vendredi 15 avril 2022

Nouvelle thèse : La reproduction des passereaux est-elle plus ou moins plastique selon l’environnement ?

Paul CUCHOT
Sous quelles conditions les changements hors normes de l’environnement (p. ex. vague de chaleur, urbanisation) limitent-ils les capacités d’ajustement des oiseaux ? Plus il fait chaud, plus les mésanges se reproduisent tôt (Charmantier et al. 2008, Potti 2009)... mais dans quelles limites ? Cette plasticité de la phénologie de reproduction est l'un des principaux mécanismes par lesquels les organismes s’adaptent aux changements climatiques. Théoriquement, il est certain qu’il y a des limites à cette capacité des oiseaux à s’adapter aux conditions du moment (DeWitt et al. 1998). Mais nous savons encore peu de choses sur ces limites.

Le projet Mommy Knows Best ('Maman gère'), porte sur l’identification  de ces limites de la capacité d’ajustement des oiseaux aux changements de leur environnement en période de reproduction (cf. présentation vidéo du projet). Les espèces modèles retenues pour le projet sont les mésanges bleues (Cyanistes caeruleus) et charbonnières (Parus major), car nous connaissons déjà bien la plasticité de leurs périodes de ponte. Paul Cuchot a rejoint le projet en novembre 2021, dans le cadre duquel il réalise sa thèse de doctorat intitulée ‘Etude de la plasticité phénologique dans les environnements nouveaux : cas de la phénologie chez les passereaux’. Sa recherche va se focaliser sur deux hypothèses de limitation des ajustements de date de reproduction imposées par des contraintes environnementales nouvelles (à l’échelle des temps évolutifs):  (i) les évènements climatiques hors normes (tels, que les récents printemps exceptionnellement chauds), et (ii) la vie dans des environnements complètement nouveaux : les environnements anthropisés.

Pour répondre à ces questions, Paul travaille à l’établissement d’une méthode de mesure de la plasticité de la phénologie de reproduction, et de ses variations à large échelle spatiale (au sein de la France, voire de l’Europe). Pour cela, il utilise les données du Suivi Temporel des Oiseaux Communs par Capture, qui est le suivi standardisé national des passereaux communs en période de reproduction. Ces données contiennent l’information sur la phénologie de la reproduction et du succès de reproduction que nous extrairons grâce à l’évolution au cours du printemps (de début mai à mi-juillet) de la proportion de jeunes de l’année parmi les oiseaux capturés (figure 1, méthode inspirée de Moussus et al. 2011). Cette évolution peut être résumée par un modèle statistique supposant que, en début de saison, il n’y a que des adultes. Puis les jeunes apparaissent au fur et à mesure qu’ils s’envolent des nids, atteignant un pic d’envol à la date correspondant au point d’inflexion de la courbe. Puis en début d’été, la proportion de jeunes parmi les oiseaux capturés se stabilise à une valeur maximale (asymptote), indicatrice de la productivité annuelle. L’envol des jeunes est plus ou moins synchrone entre individus et sites, ce qui est mesuré par la ‘vitesse d’apparition des jeunes’ (pente).


Figure 1 : Evolution de la proportion de jeunes parmi les oiseaux capturés au cours du printemps. Le paramètre « Asympote » correspond au succès de reproduction, le paramètre « Date » correspond à la date du pic d’envol des jeunes et le paramètre « Pente » correspond à la synchronie d’envol des jeunes entre nichées et entre populations.

Cette méthode de mesure de la phénologie permettra de quantifier la dépendance de la phénologie d’envol des jeunes de mésange bleue à la température printanière (mesure de la plasticité), et surtout de tester nos hypothèses sur les limites de cette plasticité : y a-t-il une température au-dessus de laquelle les mésanges ne parviennent plus à s’ajuster ? Cette température limite dépend-elle du degré de perturbation de l’habitat (artificialisation, éloignement de l’habitat forestier) ? Ces questions seront posées à l’échelle française, avec les données du STOC Capture, et à l’échelle européenne avec les données du programme équivalent coordonné par EURING (EuroCES).

A partir du STOC Capture, Moussus et al. (2011) ont révélé que les espèces de passereaux passant l’hiver en Afrique tropicale (migration à longue distance) et celles les plus spécialisées (écologiquement, voire cognitivement) sont les moins flexibles : elles se reproduisent à des dates proches d’une année sur l’autre. A l’inverse, les résidents et les espèces généralistes parviennent mieux à ajuster leur phénologie à la température printanière. Dans un second temps de la thèse, Paul envisage de compléter ces résultats en appliquant la méthode présentée aux données européennes EuroCES, afin d’accroitre la portée taxonomique (nombre d’espèces) et biogéographique (régions climatiques, position au sein des aires de distribution) des connaissances disponibles sur les déterminants de la plasticité phénologique.

Le projet ‘Mommy Knows Best’ est porté par Céline Teplitsky, chercheuse en écologie évolutive, membre l'équipe 'Mésanges' du Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE), et financé par la Fondation BNP Paribas. Ce projet repose sur un consortium international de 15 chercheurs. Paul Cuchot sera supervisé par Céline Teplitsky et Pierre-Yves Henry, responsable du STOC Capture (CRBPO-MECADEV).

Références citées: 

Charmantier, A., McCleery, R. H., Cole, L. R., Perrins, C., Kruuk, L. E. B., & Sheldon, B. C. (2008).    Adaptive phenotypic plasticity in response to climate change in a wild bird population. Science, 320(5877), 800–803.

DeWitt, T. J., Sih, A., & Wilson, D. S. (1998). Costs and limits of phenotypic plasticity. Trends in Ecology & Evolution, 13(2), 77–81.

Moussus, J. P., Clavel, J., Jiguet, F., & Julliard, R. (2011). Which are the phenologically flexible species? A case study with common passerine birds. Oikos, 120(7), 991-998.

Potti, J. (2009). Advanced breeding dates in relation to recent climate warming in a Mediterranean montane population of Blue Tits Cyanistes caeruleus. Journal of Ornithology, 150(4), 893-901.

Rédacteur : Paul Cuchot

mercredi 6 avril 2022

Où sont les oiseaux migrateurs en Europe, et quand ? Nouvel outil combinant abondances relatives et déplacements d'oiseaux marqués

Aigrettes garzettes françaises en janvier
Les coordinations internationales des suivis d’oiseaux par observation/comptage (EuroBirdPortal) et par marquage (EURING) se sont associées pour produire un outil de cartographie en ligne des migrations d’oiseaux en Europe: le Migration Mapping Tool. Cette interface permet de visualiser les mouvements migratoires par l'illustration des changements d'abondance relative et de positions d’individus marqués tout au long du cycle annuel, semaine après semaine, pour 50 espèces. Il est possible de filtrer par régions d'intérêt afin de visualiser les mouvements de populations d'origine connue (aire de reproduction ou aire d'hivernage). Et les données synthétiques affichées peuvent être récupérées sous forme de tableurs (p. ex. excel). L'accès aux interfaces pour chaque espèce analysée se fait soit via la page dédiée sur site d'EURING, soit directement à l'aide du filtre de gauche dans l'application. Les espèces illustrées sont essentiellement des oiseaux aquatiques (canards, oies, cygnes, hérons, goélands, mouettes, pélicans) car la création de cette application
a été financée par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) dans le but de mieux informer la gestion de la grippe aviaire. Mais vous y trouvez également six rapaces

Un tutoriel vidéo explique comment utiliser cette interface. 

Ce projet n'aurait pas été possible sans les données uniques fournies par les dizaines de milliers d'observateurs bénévoles, de bagueurs bénévoles, et de personnes nous renseignant sur la découverte d'oiseaux marqués à travers l'Europe. Sa réalisation a été possible grâce au travail d'analyse de données et de développement d'application web par Justin Walker, Hamza Butt, Matt Baxter, Sam Franks, Dorian Moss et Stephen Baillie du British Trust for Ornithology (BTO, pour EURING), ainsi que David Marti et Gabriel Gargallo de l'Institut Ornithologique Catalan (ICO, pour EuroBirdPortal). 

Toutes les données publiques de mouvements d'oiseaux collectées pour la France sont intégrées à cette application (via leur transfert à l'EURING Data Bank).

Rédacteur : Stephen Baillie (BTO, président d’EURING), adapté par Pierre-Yves Henry (CRBPO)