mercredi 16 octobre 2024

Les passereaux migrateurs paludicoles fréquentent les champs de maïs... mais qu'y font-ils ?

Filet de capture dans un champ de maïs
Les habitats des zones humides ont connu une réduction et une fragmentation dramatiques, en raison des activités humaines telles que l'urbanisation et l'agriculture. Aujourd'hui, les oiseaux, en tant qu'indicateurs de la biodiversité de ces habitats, doivent se reproduire, hiverner ou faire une halte migratoire dans ces zones humides fortement altérées.  Ils doivent concentrer leurs activités dans des habitats reliques (cas ici des roselières humides), des habitats suboptimaux (roselière sèche) ou dans leur environnement tels que les champs agricoles (maïs en agriculture raisonnée).
Dans une vaste zone humide située au sud-ouest de la France (400 ha, Barthes de la Nive, 64, Fig. 1), située sur une voie importante de migration, nous avons testé si l'abondance des espèces de passereaux diffère d'un habitat à l'autre (roselière humide vs roselière sèche ou maïs) en fonction de leur spécialisation dans les habitats aquatiques (espèces aquatiques vs généralistes) et leur stratégie migratoire (migrateurs vs résidents). Nous voulions identifier les mécanismes sous-jacents des variations observées en examinant : la disponibilité des arthropodes dans chaque habitat, le régime alimentaire de cinq espèces d'oiseaux insectivores, et la capacité d’engraissement des oiseaux. Nous avons mis en place un protocole standard de capture sur les trois sites en 2015 et 2016 (Fig. 1). Les résultats de cette étude ont été publiés récemment (Fontanilles et al. 2024).

Figure 1. Zone d’étude des Barthes de la Nive (64) avec les 4 sites de captures et la carte de végétation.


Les cultures de maïs ont accueilli plus d’abondance et de biomasse d'invertébrés que les roselières pour les coléoptères, les diptères, les aranéides et les cicadellidés. Cela peut expliquer pourquoi ces cultures ont été utilisées par une large diversité de passereaux :  aquatiques (Gorgebleue à miroir, Phragmite des joncs, Rousserolle effarvatte), migrateurs non aquatiques (Pouillot fitis, Rossignol philomèle) ou des généralistes locaux (Rouge-gorge, Mésange bleue, Mésange charbonnière, Fig.2). Le régime alimentaire de la Gorgebleue, espèce aquatique généraliste, était composé principalement de Formicidae qu’elle a trouvé aussi bien dans chaque habitat.
Malgré la disponibilité de nourriture dans les champs de maïs, les oiseaux spécialistes des milieux aquatiques ont été plus abondants dans les roselières : la Bouscarle de Cetti se nourrissant principalement d'Araneidae et de Cicadellidae ; la Rousserolle effarvatte de pucerons et coléoptères.
Les roselières sèches ont été plus utilisées par la Locustelle tachetée, qui se nourrit de Formicidae. Phragmite des joncs et Rousserolle effarvatte étaient plus abondantes dans les roselières humides (Fig.2). Cependant pour cette dernière espèce, nous avons constaté que les jeunes engraissaient aussi dans les champs de maïs.
Figures 2.  Indice d'abondance de chaque site pour les groupes d'espèces et les espèces : trans (espèces migratrices transsahariennes) ; aquatique (espèces aquatiques) ; terr (espèces terrestres) ; loc (local = résident). Les sites sont Maïs U (Mu), Maïs V (Mv), Roselière séche Dry-reedbed (Dr), Roselière humide Wet-reedbed  (Wr). Les diagrammes en boîte montrent la médiane (ligne grasse), le premier et le troisième quartile sous forme de boîte, les moustaches représentent 1,5*l'intervalle interquartile et les valeurs aberrantes sous forme de points. La ligne horizontale en haut du graphique représente le test entre deux sites avec des valeurs p significatives * p < 0,05, ** p < 0,01, *** p < 0,01.

Par conséquent, la stratégie d'utilisation des cultures de maïs est différente selon la spécialité et le statut des espèces. Les résidentes généralistes peuvent s’y déplacer en continuité de la végétation et/ou y rechercher de la nourriture. Les migrateurs ayant besoin de se ravitailler peuvent aussi la fréquenter, mais les transsahariens aquatiques restent plus abondants dans la roselière. La culture de maïs offre des ressources alimentaires et des abris appropriés pour certaines d'espèces. Elle peut être un habitat complémentaire dans l’environnement proche des roselières humides et sèches, mais pas un substitut. Notre étude confirme la nécessité de conserver et étendre les roselières (menacées de fermeture) et une culture du maïs sans insecticide, récoltée après la mi-octobre à la fin de la migration des insectivores.
 

Pour en savoir plus, lire: 
 
 
Rédaction: Philippe Fontanilles


vendredi 11 octobre 2024

En hommage à Philippe Ollivier


P. Ollivier à l'oeuvre (à gauche)
Philippe Ollivier est décédé le 22 mars 2024 d’une crise cardiaque.
Né en 1955 en Loire-Atlantique, Philippe, sensible à la nature dès son enfance, s’est initié à l’ornithologie visuelle grâce au Peterson dès 1975 et par la suite aux chants.  Devenu professeur de mathématiques et affecté à Condé-sur-Noireau dans le Calvados en 1980, il obtient son permis de baguer en 1982.
C’est à Rohars en Loire-Atlantique que durant ses vacances, il débute son activité de baguage, puis au lac de Grand-Lieu, avant de baguer sur Carolles (Manche). Sur une longue période, il participera aux deux ou trois sessions du STOC capture de Gaston Moreau dans le Perche ornais de 1990 à 2014, ainsi qu’à celles des coteaux du Bessin de 1990 à 2000. Baguage varié à cette même époque : hirondelles et bécassines sur la prairie de Caen avec Michel Saussey et moi-même, hirondelle de rivage dans les carrières de Ducey, participations au camps du Hode avec Patrick Frébourg, Jo Pourreau et Bruno Dumeige dans l’estuaire de la Seine.
Mais c’est surtout le Traquet motteux, encore nicheur dans le havre de la Vanlée et dernier bastion normand, qui a retenu son attention. De 1991 à 1997, le marquage coloré des quelques 30 couples nicheurs et de leurs progénitures lui ont permis d’effectuer un grand nombre de contrôles de bagues. Ce suivi intensif a conduit à 4 publicatons : 
- Ollivier, P. (1994). Traquet motteux Oenanthe oenanthe. Dans D. Yeatman-Berthelot & G. Jarry (Eds.), Nouvel atlas des oiseaux nicheurs de France 1985-1989 (pp. 516–517). Société Ornithologique de France.
- Ollivier, P. (1997). Biologie de reproduction du traquet motteux (Œnanthe œnanthe) en Normandie. Le Cormoran, 10, 36–42.
- Ollivier, P., Debout, C., & Debout, G. (1999). L’importance du choix du territoire dans la reproduction du traquet motteux Œnanthe œnanthe sur une dune fixée de la Manche (N.O. France). Alauda, 67, 213–222.
À l’issue de cette remarquable étude, Philippe, à son grand dam, a vu le déclin progressif de cette population isolée, située sur un site favorable, mais dont la fréquentation croissante par les touristes, la pression ovine et l’effet des tempêtes à répétition, entraineront sa disparition en 2000.
Entre 2000 et 2007, il décide de participer à un Suivi des Populations d'Oiseaux Locaux (SPOL) d’une espèce par ailleurs peu étudiée en période de nidification, mais encore bien présente près de chez lui : le Gobemouche gris. Moins facile à suivre que le traquet motteux, il sera déçu par les premiers résultats obtenus du fait que les retours des oiseaux marqués dans un bocage, certes dégradé, mais vaste, étaient trop  rares pour démontrer l’éventuelle philopatrie des individus (un article paraitra prochainement dans le Cormoran).
Ces dernières années, dès qu’il en avait la possibilité, Philippe est venu m’aider dans mes recherches sur les tariers des prés et bergeronnettes flavéoles étudiés sur les réserves des marais de Carentan, dont je suis le conservateur. De même, il participa au programme d'étude du Phragmite aquatique (ACROLA) sur ce site aussi bien qu’à Genêts dans la baie du Mont-Saint-Michel.
Durant ces 40 années de baguage, Philippe aura côtoyé bien des bagueurs et bagueuses, surtout en Normandie et en Loire-Atlantique mais aussi, plus récemment en Corse, ce qui lui aura permis d’examiner de près guêpier et petit-duc. Bien que de caractère anxieux face aux imprévus, Philippe était bon vivant, apprécié de tous, toujours prompt à faire bénéficier les aides-bagueur.se.s de ses connaissances. Nous perdons un ami.

Rédaction: Alain Chartier

Philippe Ollivier (gauche) et Alain Chartier (droite) se coordonnant pour le

 choix de combinaison de bagues colorées à poser sur les traquets tariers (RNR des marais de la Taute)


 

lundi 19 août 2024

Choucas des tours et agriculture : forte sédentarité des adultes et alimentation préférentielle dans les prairies

Choucas marqué pour l'étude
L'agriculture moderne a exacerbé les conflits entre la faune et les humains, notamment en raison des dégâts causés par les oiseaux sur les cultures. Le Choucas des tours, un corvidé protégé dont les populations ont augmenté ces 20 dernières années dans l’Ouest de la France, est particulièrement concerné. Cette augmentation s'est accompagnée de plaintes d'agriculteurs concernant principalement les dégâts sur les semis de maïs. Pour réduire ces conflits, il est essentiel de comprendre la relation entre l'activité de recherche de nourriture des oiseaux et les caractéristiques des zones agricoles.

Chambon et al. (2024) ont exploré comment les choucas des tours (mâles adultes) utilisent les zones agricoles tout au long de leur cycle annuel. L'analyse de leurs mouvements, documentés par télémétrie (GPS), a été effectuée au cours de six phases biologiques distinctes : construction du nid, incubation des œufs, élevage des jeunes, post-envol des jeunes, post-reproduction, et hivernage.

L'activité journalière se déroule dans un domaine vital restreint (moyenne < 2.2km² ; Fig. 1), centré sur le nid. La distance entre le nid et la bordure la plus éloignée est de 2 km, et reste stable au cours de l’année (stabilité de 75% des domaines vitaux journaliers individuels). Les choucas adultes reproducteurs sont donc particulièrement sédentaires. Toutefois, des variations existent entre les phases biologiques, cohérentes avec les comportements de reproduction et de défense du nid, et suggèrent que des ressources alimentaires suffisantes se trouvent à proximité des villes, où se situent les nids.

Figure 1 : Variation de la distribution de la présence journalière en fonction des périodes biologiques des choucas avec (A) surface de la présence journalière (km²), (B) étendue du chevauchement spatial intra-période des distributions de présence journalière (%), (C) distance entre le centroïde de la présence journalière et l'emplacement du nid (km), et (D) distance entre la limite la plus éloignée de la distribution de présence journalière et l'emplacement du nid (km).

En se concentrant sur les points GPS correspondant à la recherche alimentaire, les analyses ont révélé une utilisation marquée des prairies tout au long du cycle annuel. Les cultures de céréales et de maïs étant utilisées ponctuellement (Figure 2).

Figure 2 : Variation de la durée quotidienne de recherche alimentaire des Choucas des tours dans différents habitats en fonction de leurs périodes biologiques. (A) prairies, (B) céréales (C) maïs.

Les prairies sont utilisées presque quotidiennement par chaque oiseau, avec une durée d'alimentation plus longue pendant l'élevage des jeunes (environ 5h) par rapport aux autres phases (1 à 2h). De fait, les jeunes choucas sont nourris principalement d'insectes au printemps. Les champs de céréales sont utilisés le plus intensément (durée journalière de recherche alimentaire)  pendant la phase post-envol (environ 3h), coïncidant avec la moisson du blé. Contrairement à ce que laissait augurer les échos issus du monde agricole, la durée moyenne dans les parcelles de maïs est faible (< 1h) tout au long de l'année, avec une utilisation légèrement plus marquée pendant les phases de travail du sol et de semis. En hivernage, cette durée est intermédiaire, probablement liée à la recherche de grains restés au sol.

Les résultats témoignent d’un comportement sédentaire des mâles reproducteurs, avec une recherche alimentaire basée principalement sur les prairies tout au long de l'année. Les cultures de céréales et de maïs sont utilisées ponctuellement en lien avec le stade phénologique de la culture.

Les suivis GPS ont fourni une estimation précise des déplacements et de l'utilisation des habitats agricoles situés à proximité directe des zones de nidification. Toutefois, ces analyses ne permettent pas de déterminer la prise alimentaire réelle. Des observations complémentaires sont ainsi nécessaires pour estimer cette prise alimentaire et la pression réellement exercée par ces oiseaux sur les cultures.

Cette étude a été menée par Rémi Chambon (UMR BOREA - Biologie des Organismes et des Ecosystèmes Aquatiques), Jérôme Fournier-Sowinski (UMR CESCO - Centre d'Ecologie et des Sciences de la Conservation), Jean-Marc Paillisson et Sébastien Dugravot (UMR ECOBIO - Ecosystèmes, Biodiversité, Evolution), et financée par la DREAL Bretagne et la Fondation François Sommer.

Pour en savoir plus:

Chambon, R., Paillisson, J.-M., Fournier-Sowinski, J., & Dugravot, S. (2024). Agricultural habitat use and selection by a sedentary bird over its annual life cycle in a crop-depredation context. Movement Ecology, 12:26. https://doi.org/10.1186/s40462-024-00462-0

Rédaction : Sébastien Dugravot