Fou de Bassan breton mort en Espagne (M. Guardiola) |
Les oiseaux sauvages, comme les oiseaux d’eau et les oiseaux marins, sont des réservoirs naturels de souches d’influenza aviaire faiblement pathogènes (H13, H16 par exemple).
Le premier génotype d’influenza aviaire hautement pathogène H5N1 est apparue dans un élevage d’oies en Chine en 1996.
Puis en 2002, les premiers cas de mortalité ont été enregistrés chez les oiseaux sauvages en Chine, et depuis lors le virus évolue continuellement et la détection du virus chez les oiseaux sauvages est devenue de plus en plus fréquente à une échelle géographique de plus en plus large (Asie, puis Europe, puis Afrique, puis Amérique du Nord…).
Fin 2021, une des premières mortalité massive d’oiseaux sauvages liée à l’IAHP est détectée chez des grues cendrées dans la réserve naturelle du lac Hula en Israël, lors de leur halte migratoire, avec plus de 5000 cadavres dénombrés. Toujours fin 2021, une mortalité massive de bernaches nonnettes a été constatée dans la région de Solway Firth en Écosse, avec une estimation de 8 à 10000 oiseaux morts.
En février 2022, une mortalité massive de pélicans frisés a été constatée dans le parc national de Prespa en Grèce, avec plus d’un millier de cadavres collectés, et seulement 32 nids dénombrés contre 1370 nids à la même période en 2021.
A partir du printemps 2022, les foyers se multiplient dans les colonies d’oiseaux marins en Europe, notamment en Écosse, mais également en France.
Comment s’est faite la contamination initiale des oiseaux marins ? Nous n’avons pas la réponse à l’heure actuelle… Une hypothèse est que le virus soit arrivé sur les colonies d’oiseaux marins par l’intermédiaire des oiseaux d’eau hivernants… Ensuite la contamination se fait par contact entre les oiseaux et aussi par les fientes, les plumes et le milieu de vie. Le virus peut garder ses propriétés infectieuses dans l’eau pendant une durée variable (en jours ou dizaines de jours), durée inversement proportionnelle à la température de l’eau et à la salinité.
Si les oiseaux d’eau (canards, oies, cygnes…) jouent un rôle dans la dissémination du virus, les goélands jouent également un rôle non négligeable. Ces différentes espèces sont connues pour faire des déplacements sur de longues distances, notamment durant les mouvements migratoires. En 2022 l’épizootie d’IAHP H5N1 est devenue panzootique et des mortalités d’oiseaux ont été recensées en EurAsie, mais également en Amérique et en Afrique, avec une intensité variable entre pays et régions.
Cette vague d'IAHP H5N1 (2021-2022) est sans précédent de par sa propagation rapide et de la fréquence élevée des foyers à la fois chez les oiseaux domestiques et sauvages, avec une même souche circulant sur les différents continents.
D’octobre 2021 à septembre 2022, 112 espèces d’oiseaux sauvages ont été testées positives au virus dans les 37 pays européens qui ont signalé des cas (source). Et la circulation du virus dans la faune sauvage a ensuite continué (source: Plateforme ESA).
Le virus H5N1 qui circule en Europe appartient au clade 2.3.4.4b avec de nombreux génotypes distincts, dont 3 qui ont été identifiés pour la première fois sur la période de juin à septembre 2022.
Le virus a également été détecté chez des mammifères sauvages (et domestiques) en Europe et en Amérique du Nord et dans certains cas présente des marqueurs génétiques d'adaptation à la réplication chez les mammifères.
Le réseau SAGIR de l’OFB (Office Français de la Biodiversité), réseau de surveillance de la santé des oiseaux, amphibiens et mammifères sauvages terrestres en France, en partenariat avec le laboratoire national de référence de l’ANSES, qui identifie les souches qui circulent, a mis en évidence des particularités: si toutes les souches qui circulent sont des H5N1, un génotype semble particulièrement adaptée aux laridés, un autre génotype ayant lui essentiellement circulé chez les fous de Bassan.
Certaines espèces d’oiseaux marins ont été plus fortement touchées que d’autres : c’est notamment le cas des fous de Bassan, la colonie des 7 îles dans les Côtes d’Armor a été touchée à partir de début juillet. C’est LA colonie française, avec 19000 couples en 2021 (en 2012 c’était environ 3 % des effectifs européens), et des milliers d’oiseaux sont morts cet été (voir vidéo LPO). C’est aussi le cas pour la colonie de fous de Bassan de Bass Rock, en Écosse (la plus importante colonie de l’espèce) qui comptait de l’ordre 150 000 adultes reproducteurs, et qui a été gravement décimée.
Les goélands ont eux aussi été fortement touchés en 2022, notamment le goéland argenté, avant que ce ne soit le tour des mouettes rieuses au premier trimestre 2023.
Mais des colonies d’autres espèces ont aussi été sérieusement impactées comme la colonie de sternes caugek du Platier d’Oye dans le Pas-de-Calais : 7000 adultes présents au printemps, puis forte mortalité, et seulement 500 adultes et 200 jeunes en fin de saison de reproduction. Sur l’île de Texel au Pays-Bas, 3500 cadavres de sternes caugek ont été dénombrés sur la colonie en juin, soit environ 40 % des adultes nicheurs sur l’île, bilan minimum car des oiseaux sont très probablement morts en mer ou ailleurs que dans les principales zones de reproduction
Sur l’île de Foula, en Écosse, qui comptait 1800 couples de grands labbes en 2015, moins de 800 couples ont été dénombrés en juin 2022. La mortalité des oiseaux a continué durant la saison de reproduction, et la perte globale est estimée à 60-70 % des nicheurs par rapport à 2015. La mortalité intervenant durant la période de reproduction, les adultes meurent sur la colonie ou en mer, et leurs poussins meurent de faim ensuite…
Le bilan actuel fait état de plusieurs centaines d’oiseaux marins morts dénombrés en Bretagne, mais ce bilan est sous-estimé (tous les cadavres n’étant pas observés et toutes les observations n’étant pas signalées) et la mortalité se compte probablement en milliers d’oiseaux à l’échelle de la Bretagne, et en dizaines de milliers à l’échelle européenne.
L'ampleur de l'épizootie est dramatique pour les oiseaux, notamment marins dont le fou de Bassan et le goéland argenté, les deux espèces les plus touchées par la maladie en Europe
Selon l’ONG Birdlife, près de 400 000 oiseaux sauvages en seraient morts dans le monde, un chiffre certainement sous-estimé pour les raisons précédemment évoquées, et parce que le réseau d’observation des différents pays est plus ou moins structuré.
C’est la première fois qu’une telle mortalité massive est enregistrée à une échelle géographique aussi vaste. Une évaluation précise de la mortalité des oiseaux marins est pour le moment difficile Il faudra attendre la saison de reproduction pour mieux évaluer les impacts : les colonies sont recensées annuellement pour plusieurs espèces d’oiseaux marins, l’état des populations est connu, et les comptages au printemps 2023 permettront de mieux connaître le niveau de la mortalité et déterminer l'impact de l’épizootie.
Tous les oiseaux survivants ne se reproduiront sans doute pas en 2023 car chez les oiseaux marins la formation des couples peut prendre quelques années et les oiseaux dont le partenaire est mort de l’influenza aviaire devront trouver un nouveau partenaire et dans certains cas aussi un nouveau territoire pour y construire leur nid.
Et certaines espèces d’oiseaux marins ont un statut de conservation défavorable, qui risque d’être exacerbé par les impacts de cette panzootie, car les contraintes imposées par le virus sont exacerbées par le stress physiologique déjà imposé par d’autres contraintes environnementales, telles que le manque de ressources alimentaires induit par la surpêche et les changements climatiques, ou encore le dérangement des colonies ou les pollutions diverses.
C'est donc sans précédent, et inquiétant, avec des craintes pour l’avenir des colonies bretonnes de certaines espèces d’oiseaux marins !
Il ne faut pas oublier que la cause d’origine est liée aux élevages intensifs, et que ce ne sont pas les oiseaux marins qui constituent une menace
Quelques liens utiles :
- Influenza aviaire: ce qu'il faut savoir - Page de référence du réseau SAGIR / OFB (mises à jour à venir prochainement)
- https://www.anses.fr/fr/content/linfluenza-aviaire-en-6-questions
- Scientific Task Force on Avian Influenza and Wild Birds statement on: H5N1 High pathogenicity avian influenza in wild birds - Unprecedented conservation impacts and urgent needs (07/2023)
- https://www.lpo.fr/la-lpo-en-actions/agir-pour-la-faune-en-detresse/faq-grippe-aviaire
- Bulletins hebdomadaires de veille sanitaire internationale
- IAHP en France : une situation alarmante !
- https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/oiseaux/les-oiseaux-marins-sont-victimes-d-uneepidemie-d-influenza- inedite_164308
- Avian influenza overview June – September 2022
- Avian influenza: unprecedented number of summer cases in Europe
- https://www.birdlife.org/news/2022/08/08/an-unprecedented-wave-of-avian-flu-has-been-devastating-bird- populations-across-the-northern-hemisphere
- Surveillance and monitoring responses to Highly Pathogenic Avian Influenza, a workshop at Cork Seabird Conference, August 2022
- https://www.nioz.nl/en/news/bird-flu-goes-offshore-sudden-spread-of-highly-pathogenic-virus-among-seabirds- and-even-marine-mammals
- Duriez, O., Sassi, Y., Le Gall-Ladevèze, C., Giraud, L., Straughan, R., Dauverné, L., Terras, A., Boulinier, T., Choquet, R., Van De Wiele, A., Hirschinger, J., Guérin, J.-L., & Le Loc’h, G. (2023). Highly pathogenic avian influenza affects vultures’ movements and breeding output. Current Biology. https://doi.org/https://doi.org/10.1016/j.cub.2023.07.061
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