jeudi 16 février 2023

Quel rôle des oiseaux dans la circulation de pathogènes transmis par les tiques en période de reproduction ? Réponses en vidéo

Jeune rougegorge familier et Ixodes ricinus
Les maladies vectorisées par les tiques représentent une problématique importante en santé animale, et humaine, dans le Monde. La maladie de Lyme est la maladie vectorisée par les tiques la plus répandue de l’hémisphère Nord et provoque des dizaines de milliers de cas humains chaque année. La maladie de Lyme prend différentes formes, suivant la bactérie concernée au sein du complexe Borrelia burgdorferi sensu lato. Comprendre le rôle des différents hôtes possibles dans l’infestation de tiques est donc un enjeu important en éco-épidémiologie de la maladie de Lyme. Les oiseaux ont beaucoup été étudiés pour leur potentiel rôle de dispersion spatiale des pathogènes vectorisés par les tiques lors des mouvements migratoires. Mais les oiseaux peuvent aussi contribuer à l’infestation de tiques en période de reproduction, période à laquelle ils contribuent à la dynamique des populations de tiques (reproduction) et des agents pathogènes. Les recherches doctorales d’Amalia RATAUD ont porté sur la compréhension du fonctionnement d’un tel système épidémiologique particulièrement complexe, comprenant de multiples agents pathogènes et espèces hôtes (nombreuses espèces d’oiseaux), ainsi que plusieurs espèces de tiques, et ce lors de la période d’abondance maximale, c’est-à-dire en période de reproduction. Sa thèse de doctorat est intitulée « Eco-épidémiologie du système Oiseaux – Tiques – Borrelia », et a été soutenue le 12 décembre 2022 au Laboratoire de Santé Animale de l’ANSES de Maisons-Alfort.
 

Après avoir décrit les problématiques posées par les maladies vectorisées par les tiques, Amalia définit le concept de potentiel de réservoir hôte (‘production’ de tiques infectées par un agent pathogène par une population d’une espèce hôte) ainsi que les facteurs pouvant influencer les différentes composantes et paramètres le définissant. S’ensuit la présentation des principaux résultats de ses trois chapitres de thèse, puis la discussion générale des implications de ces résultats.
 
Le premier chapitre porte sur la caractérisation du système d’étude : décrire la diversité des espèces de tiques et des agents pathogènes impliquant des hôtes potentiels ‘Oiseaux’ en période de reproduction. De fait, cette diversité est encore très peu documentée (Rataud et al. 2022a). Pour cet objectif, le réseau des bagueurs d’oiseaux du CRBPO a collecté en période de reproduction des tiques sur 1040 individus, couvrant 56 espèces (allant du pouillot véloce au geai des chênes, et même 1 aigle royal, 1 barge à queue noire). La principale tique infestant les oiseaux est Ixodes ricinus, une tique généraliste (comme déjà constaté par Marsot et al. 2012). Les pathogènes les plus prévalents sont les Borrelia (15,8% des oiseaux échantillonnés), suivies des Rickettsia (13,3%). Parmi les Borrelia, ce sont celles d'oiseaux qui sont majoritaires (B. garinii à 77%, B. valaisiana à 16%). D’autres agents pathogènes pourraient s’avérer d’intérêt pour des recherches (p. ex. Anaplasma et Ehrlichia), mais leur faible prévalence nécessiterait des tailles d’échantillon difficilement atteignables. D’une perspective épidémiologique, le fait marquant à retenir est que les prévalences des tiques en pathogènes variaient le plus fortement entre espèces pour les Borrelia: certaines espèces d'oiseaux jouent donc un rôle nettement plus important que les autres dans la dynamique des Borrelia (Rataud et al. 2022b). Pour les autres  pathogènes, l'identité de l'espèce hôte n'affectait pas significativement la prévalence. Cela montre l'importance de comprendre les traits des espèces aviaires hôtes d’importance dans l’éco-épidémiologie des borrélioses.
 
La suite de la thèse a donc naturellement porté sur la recherche des déterminants de la contribution des différentes espèces d’hôte aviaires dans la ‘production’ de tiques. Le 2ème chapitre s’est concentré sur la compréhension de l’importance relative des variations entre années et entre espèces des charges en tiques (proportion d’oiseaux porteurs de tiques, et nombres de tiques portées), sur un site d’étude suivi sur 13 années (STOC Capture de Forêt de Sénart, Essonne). Et le 3ème chapitre a complété cette analyse des contributions relatives des espèces hôtes aviaires en les pondérant par leurs abondances respectives. Les charges en tiques par espèce hôte sont apparues relativement stables entre années, ce qui les distinguent des charges observées chez les micromammifères montrant de grandes variations entre années. Le message principal de ces deux chapitres est que, dans une communauté multi-hôtes aviaires, en période de reproduction, seules quelques espèces contribuent à la majorité de la production de tiques. Dans la communauté étudiée, il s’agit du Merle noir, de la Grive musicienne, de l’Accenteur mouchet, du Rouge-gorge familier et de la Fauvette à tête noire. Mais ces espèces ne contribuent pas de la même manière : Le Rouge-gorge familier, le Merle noir, la Grive musicienne, l’Accenteur mouchet portent beaucoup de tiques, mais ont une abondance moyenne (à l’exception du rougegorge qui a une abondance élevée). Alors que la Fauvette à tête noire a une charge en tiques moyenne, mais contribue beaucoup du fait de son abondance élevée. Il reste que le trait commun à ces espèces à forte contribution est qu’elles s’alimentent majoritairement au sol ou à faible hauteur dans la végétation, ce qui est le domaine de « chasse » de la tique généraliste Ixodes ricinus. Enfin, les charges en tiques apparaissent relativement stables entre années.
 
Ce travail a été dirigé par Maud MARSOT (Laboratoire de Santé Animale de Maisons-Alfort, ANSES), Pierre-Yves HENRY (CRBPO - Mécanismes adaptatifs et évolution / Centre d'Ecologie et des Sciences de la Conservation) et Sara MOUTAILLER (Biologie moléculaire et d’Immunologie PARasitaires, ANSES), et a été financé par l’ANSES et le DIM1Health de la Région Ile de France. Il s’inscrit dans le cadre du projet OUTLYER (OiseaU Tique LymE Risque) qui a pour objectif de caractériser le rôle des oiseaux dans la circulation des bactéries Borrelia en période de reproduction en France (cf. post dédié).
 
Ce projet OUTLYER a été rendu possible grâce au réseau de bagueurs du CRBPO (79 participants) pour la collecte des tiques portées par les oiseaux.
 
Pour en savoir plus sur ces travaux :
 
 
 
Rataud, A., Galon, C., Bournez, L., Henry, P.-Y., Marsot, M., & Moutailler, S. (2022b). Diversity of tick-borne pathogens in tick larvae feeding on reproductive birds in France. Pathogens, 11(8), 946.
 
 
Rédactrice : Amalia RATAUD


vendredi 20 janvier 2023

Le sud-ouest de la France est-il une simple région de transit pour le Gobemouche noir ou également une région d’engraissement ?

Gobemouche noir (J.-M. Fourcade)
La France est connue depuis longtemps comme une aire de transit de Gobemouche noir (Ficedula hypoleuca) en migration, avec une forte concentration dans le quart sud-ouest. La valeur de cette région comme zone de halte migratoire n’était cependant pas connue précisément : simple transit avec une convergence liée à l’effet d’entonnoir de la barrière pyrénéenne et de l’océan Atlantique ou région d’engraissement avec un rôle fonctionnel proche de celui de la péninsule ibérique ? Cette dernière est reconnue comme la principale zone d'engraissement de l’espèce avant sa traversée du Sahara. Avec les données recueillies lors du camp de baguage de Bayonne / Villefranque (Pays basque), nous avons estimé le taux d’accumulation de réserves, la durée de halte et la quantité de réserves énergétiques. Ces résultats ont été publiés par Fourcade et al. en 2022.

La durée moyenne de halte était relativement élevée, estimée à 8.4 jours après la première capture par un modèle CMR et à 16.8 jours au total sous l’hypothèse d’une durée similaire avant la première capture. Le taux moyen d’engraissement quotidien a été estimé à 0.29 g jour-1 (3.1% de la masse corporelle maigre). Surtout, des effets comme la date et la masse corporelle à l’arrivée étaient non significatifs, soutenant l'idée que la région était ciblée pour engraissement dès le début de la migration et pas seulement sous la pression de l’urgence migratoire en fin de saison et ce, indépendamment de la condition corporelle des individus. Parallèlement, une forte relation positive était observée entre la masse corporelle au départ et le taux d’engraissement, résultat attendu chez les individus qui ont pour stratégie de minimiser le temps passé en migration. Cette stratégie est coûteuse d’un point de vue énergétique et repose sur peu de sites de halte pour lesquels l’enjeu de conservation est important. Par ailleurs et de façon inattendue, des durées minimales de halte de 23 et 28 jours ont été observées chez des individus en bonne condition corporelle. De telles durées ne correspondent pas à des haltes conventionnelles d’engraissement, et ont déjà été observées, bien que rares, pour diverses espèces transsahariennes (documentées dans des études à l'aide de géolocalisateurs).
La quantité moyenne de réserves énergétiques ne différait pas selon l'âge ou l'année et représentait en moyenne 33.8 % de la masse corporelle maigre. Les réserves des oiseaux les plus lourds (> 75e percentile), c-à-d ceux ayant la plus forte probabilité de quitter le site rapidement, représentaient en moyenne 57.3 % de la masse maigre. Ces valeurs sont inhabituelles lorsque la barrière écologique à traverser est encore éloignée. L’estimation de l’autonomie de vol correspondait ainsi à 80 % de la distance jusqu'à la marge sud du Sahara. Au moins une halte supplémentaire était donc nécessaire dans la péninsule ibérique, mais pour un complément modéré.
Ces résultats montrent que des comportements d'engraissement sous la contrainte du temps et des haltes prolongées se produisent simultanément dans le sud-ouest de la France. Ces comportements se produisent sur peu de sites spécifiques, qui fournissent une part importante de l’énergie totale. Bien que le Sahara soit encore éloigné, l’énergie nécessaire à sa traversée peut donc être acquise en grande partie dans le sud-ouest de la France.

Figure 1. Différence de masse corporelle entre la première et la dernière capture (Δmass en g) selon le nombre de jours écoulés (Δdays) chez les gobemouches noirs de 1er automne (extrait de Fourcade et al., 2022). Les deux triangles représentent les deux individus avec des durées de séjour particulièrement longues.
 
Pour en savoir plus, lisez l'article complet: 
 

Rédacteur: Jean-Marc Fourcade