mardi 21 janvier 2020

Comment les passereaux migrateurs traversent-ils les déserts ?

Gobemouche gris équipé d'un géolocalisateur (F. Jiguet)

Depuis quelques années, l'utilisation de photomètres géolocalisateurs permet de connaître les voies de migration et les destinations hivernales d'oiseaux de petite taille, jusqu'aux fauvettes et pouillots. Mais l'étude des données d'intensité lumineuse et de température permet aussi de déterminer quand, et de déduire comment, ces petits oiseaux ont traversé des barrières géographiques comme le Sahara. Toutes les études basées sur des détections radar concluaient que les passereaux se posent dans le Sahara durant la journée, et traversent donc les déserts par succession de vols nocturnes et de repos diurnes. Une première étude, sur deux fauvettes paludicoles et deux gobemouches (Adamik et al. 2016), précisait que la majorité de ces oiseaux prolongeait le vol nocturne en matinée, avant de se poser - sans doute pour raccourcir la durée de la traversée, ou pour trouver un habitat favorable à une halte diurne. Une second étude, publiée également en 2016 et concernant le gobemouche noir, proposait que la stratégie dominante des passereaux pourrait être un vol non-stop, de jour comme de nuit, pour traverser la Sahara (Ouwehand & Both 2016).
En analysant les données de 130 individus de 10 espèces différentes, un collectif de 43 chercheurs européens, animé par Frédéric Jiguet, illustrent que les stratégies de traversée du désert sont en fait variées, parfois même au sein d'une même espèce. Ces résultats ont été publié en décembre 2019 dans la revue Scientific Reports, et sont en accès libre sur le lien suivant:

Ainsi, les rossignols philomèles volent de nuit et se posent avant le lever du jour, quand les bruants ortolans continuent de voler le matin avant de se poser. Les pouillots siffleurs ne s'arrêteront, eux, que lorsque le désert sera derrière eux, alors que les pouillots fitis adoptent l'ensemble des stratégies citées précédemment. Les pipits des arbres, en Europe comme au dessus du désert, migrent activement de nuit et se posent dans la journée.

Les altitudes de vol des différentes espèces sont aussi très variables. Elles sont déduites des variations de températures entre les nuits avec vol de migration et les nuits précédentes ou suivantes sans vol. Les bruants ortolans restent en général près du sol, même au milieu du Sahara, alors que les gobemouches gris et les rossignols montent sans doute à plus de 2000 mètres !

Si les oiseaux qui traversent le Sahara à basse altitude devraient plus souffrir du réchauffement en cours, la grande variabilité des stratégies, et leur faible conservatisme chez des espèces évolutivement proches, laissent penser qu'une adaptation des passereaux est possible pour continuer à réussir à traverser les déserts lors de leurs migrations annuelles.

Références:
Adamík, P., T. Emmenegger, M. Briedis, L. Gustafsson, I. Henshaw, M. Krist, T. Laaksonen, F. Liechti, P. Procházka, V. Salewski, and S. Hahn. 2016. Barrier crossing in small avian migrants: individual tracking reveals prolonged nocturnal flights into the day as a common migratory strategy. Scientific Reports 6:21560.

Jiguet, F., M. Burgess, K. Thorup, G. Conway, J. L. Arroyo Matos, L. Barber, J. Black, N. Burton, J. Castelló, G. Clewley, J. L. Copete, M. A. Czajkowski, S. Dale, T. Davis, V. Dombrovski, M. Drew, J. Elts, V. Gilson, E. Grzegorczyk, I. Henderson, M. Holdsworth, R. Husbands, R. Lorrilliere, R. Marja, S. Minkevicius, C. Moussy, P. Olsson, A. Onrubia, M. Pérez, J. Piacentini, M. Piha, J. M. Pons, P. Procházka, M. Raković, H. Robins, T. Seimola, G. Selstam, M. Skierczyński, J. Sondell, J. C. Thibault, A. P. Tøttrup, J. Walker, and C. Hewson. 2019. Desert crossing strategies of migrant songbirds vary between and within species. Scientific Reports 9:20248.


Rédacteur: Frédéric Jiguet

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