lundi 20 avril 2020

Impact des parcs éoliens et erratisme chez l'Aigle royal: exploration par vidéos 3D modélisées à partir de données GPS


Aigle royal avec émetteur GPS/3D (Photo: J-N Dacher)
Le programme de suivi de l’Aigle royal par marquage a débuté en 2012 (programme personnel n°579, sous la responsabilité de Christian Itty). Un volet d'écologie spatiale conséquent (au travers du déploiement d’émetteurs GPS) est compris dans ce programme. Il a commencé avec le marquage d’adultes en 2014, notamment dans un objectif de conservation afin d’étudier les impacts de l’important développement éolien dans le sud du Massif Central. En 2016, le panel d’individus suivis a été complété grâce à la pose d’émetteurs GPS sur des juvéniles. Les zones d'études ont été diversifiées en ajoutant des oiseaux de la Drôme et des Hautes Alpes. Grace à la présence de ces 3 zones de suivi complémentaires et reliées entre elles (cf. échanges d’individus entre ces zones), nous pouvons suivre les aigles royaux sur tout leur continuum écologique, des premiers reliefs de basse altitude languedociens, quasiment en bordure de la Méditerranée, jusqu’aux plus hauts sommets alpins. Cette étude révèle la diversité de milieux utilisés par l’espèce, et permet d’appréhender les problèmes de cohabitation avec les activités humaines (p. ex. coût énergétique du vol et risques liés aux éoliennes et électrocutions dans le Massif Central et la Drôme, électrocution et percussion sur le réseau électrique dans les Hautes Alpes). L’ampleur spatiale et numérique du suivi assure une haute généricité des résultats pour l’espèce.

Depuis 2014, 56 oiseaux ont été marqués avec des GPS dans le massif central (14 adultes  et 42 juvéniles/erratiques), 15 oiseaux dans la Drôme (15 juvéniles) et 25 oiseaux dans les Hautes Alpes (9 adultes et 16 juvéniles/erratiques) grâce à une collaboration pour ce dernier département avec le Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (Aurélien Besnard, Arzhela Hemery) et RTE-Réseau de Transport d'Electricité. La base de données télémétrique contient actuellement plus de 25 millions de localisations GPS pour ces 96 oiseaux toutes zones et catégories d’âges confondues. Certains oiseaux sont suivis depuis plus de 7 ans et ont fourni plusieurs millions de localisations, avec un suivi fonctionnel tous les jours sur tout ce pas de temps. Pas mal pour des émetteurs de 35-50 grammes (soit entre 0,5 et 1,4% du poids de l’oiseau selon son sexe) ! Toutes ces données sont sauvegardées, archivées et gérées depuis le départ grâce à un stockage sur la plateforme Movebank.

La technologie actuelle permet de descendre à des intervalles de programmation et d’acquisition des données de localisation toutes les secondes, parfois en continu sur toute une journée ou sur des périodes prédéterminées (temporelles et/ou géographiques). Véritable révolution technologique, ce grain très fin dans les données permet d’investiguer des champs comportementaux ignorés jusque-là.

Nous pouvons désormais regarder en finesse les choix et les comportements des oiseaux dans leurs déplacements en 3D (les émetteurs GPS fournissant longitude, latitude, altitude et vitesse). Il y a et aura encore un gros travail d’analyses du volume conséquent de données obtenues pour généraliser tout cela, vérifier/corriger les altitudes, etc…, (et c’est un aspect plus qu’important, à ne pas négliger/sous-estimer dans ce type de programme !). Mais les premiers résultats sont d’ores et déjà très instructifs (voir Péron et al. 2017). 

Afin de visualiser ces données de manière simple et intuitive, vous trouverez ci-dessous des exemples de modélisations en 3D qui peuvent être produits à partir de ce type de suivi. Sur toutes les phases de vols présentées ci-après, l’acquisition du GPS est de 1 point/seconde. Vous pouvez faire varier les vitesses de défilement de ces vidéos de quelques minutes d’animation 3D grâce au curseur de vitesse en bas à gauche de l’écran (vitesse idéale 8-16x en général). Vous pouvez aussi afficher les paramètres plus détaillés enregistrés par les émetteurs (altitude, vitesse, durée, heure…). N’hésitez pas à changer l’angle de vue à l’aide de votre souris, pour mieux percevoir les déplacements en 3D.

Comportements d’aigles royaux adultes face à un parc éolien
Vol n°1. L’aigle quitte son perchoir dans un versant, orbe et prend de l’altitude puis contourne la première ligne d’éoliennes. Arrivé à une altitude suffisante, il prend l’intervalle entre les deux lignes de turbines, passe entre les turbines, puis retourne se percher dans le versant d’en face. A noter que c’est sur ce parc éolien qu’a été documenté à l’été 2017 le premier cas de collision d’un aigle royal erratique avec une éolienne en France (détecté et localisé grâce à son GPS; voir l'article dédié sur France-Nature Environnement Languedoc-Roussillon).

Vol n°2 (même individu, même site que pour le vol n°1). L’aigle arrive en vol et longe le parc éolien. Il file et vient parader en limite de son territoire. Par rapport au vol n°1, l’efficacité dans les prises de thermiques est beaucoup plus importante (regardez les gains importants d’altitudes dans les orbes, probablement dû à de meilleures conditions météo). Remarquez aussi qu’à cette résolution, on distingue parfaitement les festons (parades nuptiales, vols en courbes et remontées en pointe) ! L’aigle après avoir marqué sa limite de territoire revient vers le parc éolien. Il exploite encore une fois l’espace à l’entrée entre les deux lignes de turbines, mais cette fois il fait demi-tour à l’approche des éoliennes pour finalement repartir d’où il vient et aller se percher à nouveau à flanc de colline.

Vol n°3 (même individu, autre parc éolien). Ce territoire d’aigle est impacté par plusieurs projets éoliens au sein de son domaine vital (plus de détails dans Itty 2017, Itty & Duriez 2018). L’aigle parcourt en vol le flanc de versant au sommet duquel sont implantées les turbines. Il fait de nombreux allers-retours mais ne gagne quasiment pas d’altitude. Après s’être décalé vers la pente puis avoir orbé et gagné un peu d’altitude, il revient le long de la ligne sommitale mais quasiment à la même altitude qu’à son départ. Nouvelles séquences d’allers-retours le long des éoliennes à la cime des arbres, très proche des turbines. Finalement, il évite de traverser la ligne d’éoliennes, bien qu’il y ait  de très belles zones ouvertes de chasse en arrière. Il choisit de longer la ligne d’éoliennes, puis gagne les espaces ouverts au sud du parc éolien. Il finit par se percher dans un bosquet d’arbres. A noter que ce parc éolien a été installé sur une zone où l’oiseau avait l’habitude de venir se percher dans les arbres (surveillance du territoire, affut pour départ en chasse), ce site étant le point culminant du sud de son domaine vital et une de ses meilleures zone de chasse. Sur ce même parc, un vautour moine a percuté une éolienne en début d’année 2020 (détails dans le communiqué de la Ligue de Protection des Oiseaux).

Comportements de jeunes aigles royaux en phase d’erratisme.

Vol n°4. Nous suivons la jeune aigle femelle Madières, âgée d’un an et demi (née en 2018 dans l’Hérault), lors une phase d’erratisme similaire à ceux des aigles de Bonelli présentés récemment sur le blog. Lors de ce long déplacement, l’oiseau quitte l’Hérault, traverse tout le département de l’Aude en direction des Pyrénées. Cette séquence illustre idéalement les choix de trajectoires et les types de vol: les différentes phases de prises d’ascendances, les orbes, les vols glissés, les vols de prospection…. On y observe même le survol à très haute altitude de la plaine de l’Aude, puis l’utilisation du relief une fois arrivée dans les Corbières.

Vol n°5. Madières évolue maintenant au cœur du Massif Central, dans des paysages complètement différents, traversant les causses aveyronnais, les vallées cévenoles, le Causse Méjean puis les montagnes lozériennes, où elle se perchera sur le Mont Lozère. A nouveau, nous découvrons les choix de vol adoptés par l’aigle pour franchir les différents reliefs.

En plus de pouvoir travailler sur la configuration des domaines vitaux d’adultes et l’impact des projets situés en leur sein, les données obtenues sur les jeunes pendant leur période d’erratisme (vols 4 et 5) permettront d’identifier les zones utilisées en priorité par les individus non cantonnés lors de leurs déplacements et/ou leurs stationnements (hot spots de fréquentation par les aigles erratiques) à l’échelle de l’ensemble des massifs montagneux français. Cela permettra de mieux appréhender les impacts potentiels de différents projets d’infrastructures, et améliorer notre capacité à préserver l’espace aérien nécessaire pour la conservation de cette espèce qui, bien qu’en augmentation, demeure localisée, sensible et emblématique.

Pour en savoir plus:
 
Rédacteur: Christian Itty

Aigle royal avec émetteur GPS/3D (Photo: E. Hérault)

11 commentaires:

  1. Une étude très intéressante et bien documentée.

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  2. Excellent.
    Impressionné à la fois par les capacités de la technique, du traitement de l'information et par les prouesses des Aigles.
    Le vol n°4 me rappelle une randonnée réalisée il y a quelques années de Saint Paul de Fenouillet à Mazamet en ...6 jours!
    Félicitations pour ce travail de terrain et derrière l'ordi.

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  3. Bravo et merci beaucoup Christian pour ce partage de connaissance!
    Benoit

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  4. Impressionnant et très intéressant. Bravo pour l'investissement. Merci pour ces résultats et éléments de débat.

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  5. Jusqu'à quelle limite se permettra-t-on de rogner les espaces naturels encore indemnes, les habitats de la faune sauvage, en bref la biodiversité, au nom d'une transition énergétique complètement dévoyée par des investisseurs qui y trouvent une source de profits... garantis par l'Etat.

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  6. Excellent travail clair et très efficace.
    On attend avec impatience des démarches dans cette inspiration pour d'autre espèces comme la Cigogne noire. Migration et domaine vital pendant la reproduction et implantation d'éoliennes.
    J.F.BAETA (GRCN Centre)

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