vendredi 20 janvier 2023

Le sud-ouest de la France est-il une simple région de transit pour le Gobemouche noir ou également une région d’engraissement ?

Gobemouche noir (J.-M. Fourcade)
La France est connue depuis longtemps comme une aire de transit de Gobemouche noir (Ficedula hypoleuca) en migration, avec une forte concentration dans le quart sud-ouest. La valeur de cette région comme zone de halte migratoire n’était cependant pas connue précisément : simple transit avec une convergence liée à l’effet d’entonnoir de la barrière pyrénéenne et de l’océan Atlantique ou région d’engraissement avec un rôle fonctionnel proche de celui de la péninsule ibérique ? Cette dernière est reconnue comme la principale zone d'engraissement de l’espèce avant sa traversée du Sahara. Avec les données recueillies lors du camp de baguage de Bayonne / Villefranque (Pays basque), nous avons estimé le taux d’accumulation de réserves, la durée de halte et la quantité de réserves énergétiques. Ces résultats ont été publiés par Fourcade et al. en 2022.

La durée moyenne de halte était relativement élevée, estimée à 8.4 jours après la première capture par un modèle CMR et à 16.8 jours au total sous l’hypothèse d’une durée similaire avant la première capture. Le taux moyen d’engraissement quotidien a été estimé à 0.29 g jour-1 (3.1% de la masse corporelle maigre). Surtout, des effets comme la date et la masse corporelle à l’arrivée étaient non significatifs, soutenant l'idée que la région était ciblée pour engraissement dès le début de la migration et pas seulement sous la pression de l’urgence migratoire en fin de saison et ce, indépendamment de la condition corporelle des individus. Parallèlement, une forte relation positive était observée entre la masse corporelle au départ et le taux d’engraissement, résultat attendu chez les individus qui ont pour stratégie de minimiser le temps passé en migration. Cette stratégie est coûteuse d’un point de vue énergétique et repose sur peu de sites de halte pour lesquels l’enjeu de conservation est important. Par ailleurs et de façon inattendue, des durées minimales de halte de 23 et 28 jours ont été observées chez des individus en bonne condition corporelle. De telles durées ne correspondent pas à des haltes conventionnelles d’engraissement, et ont déjà été observées, bien que rares, pour diverses espèces transsahariennes (documentées dans des études à l'aide de géolocalisateurs).
La quantité moyenne de réserves énergétiques ne différait pas selon l'âge ou l'année et représentait en moyenne 33.8 % de la masse corporelle maigre. Les réserves des oiseaux les plus lourds (> 75e percentile), c-à-d ceux ayant la plus forte probabilité de quitter le site rapidement, représentaient en moyenne 57.3 % de la masse maigre. Ces valeurs sont inhabituelles lorsque la barrière écologique à traverser est encore éloignée. L’estimation de l’autonomie de vol correspondait ainsi à 80 % de la distance jusqu'à la marge sud du Sahara. Au moins une halte supplémentaire était donc nécessaire dans la péninsule ibérique, mais pour un complément modéré.
Ces résultats montrent que des comportements d'engraissement sous la contrainte du temps et des haltes prolongées se produisent simultanément dans le sud-ouest de la France. Ces comportements se produisent sur peu de sites spécifiques, qui fournissent une part importante de l’énergie totale. Bien que le Sahara soit encore éloigné, l’énergie nécessaire à sa traversée peut donc être acquise en grande partie dans le sud-ouest de la France.

Figure 1. Différence de masse corporelle entre la première et la dernière capture (Δmass en g) selon le nombre de jours écoulés (Δdays) chez les gobemouches noirs de 1er automne (extrait de Fourcade et al., 2022). Les deux triangles représentent les deux individus avec des durées de séjour particulièrement longues.
 
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Rédacteur: Jean-Marc Fourcade