lundi 19 août 2024

Choucas des tours et agriculture : forte sédentarité des adultes et alimentation préférentielle dans les prairies

Choucas marqué pour l'étude
L'agriculture moderne a exacerbé les conflits entre la faune et les humains, notamment en raison des dégâts causés par les oiseaux sur les cultures. Le Choucas des tours, un corvidé protégé dont les populations ont augmenté ces 20 dernières années dans l’Ouest de la France, est particulièrement concerné. Cette augmentation s'est accompagnée de plaintes d'agriculteurs concernant principalement les dégâts sur les semis de maïs. Pour réduire ces conflits, il est essentiel de comprendre la relation entre l'activité de recherche de nourriture des oiseaux et les caractéristiques des zones agricoles.

Chambon et al. (2024) ont exploré comment les choucas des tours (mâles adultes) utilisent les zones agricoles tout au long de leur cycle annuel. L'analyse de leurs mouvements, documentés par télémétrie (GPS), a été effectuée au cours de six phases biologiques distinctes : construction du nid, incubation des œufs, élevage des jeunes, post-envol des jeunes, post-reproduction, et hivernage.

L'activité journalière se déroule dans un domaine vital restreint (moyenne < 2.2km² ; Fig. 1), centré sur le nid. La distance entre le nid et la bordure la plus éloignée est de 2 km, et reste stable au cours de l’année (stabilité de 75% des domaines vitaux journaliers individuels). Les choucas adultes reproducteurs sont donc particulièrement sédentaires. Toutefois, des variations existent entre les phases biologiques, cohérentes avec les comportements de reproduction et de défense du nid, et suggèrent que des ressources alimentaires suffisantes se trouvent à proximité des villes, où se situent les nids.

Figure 1 : Variation de la distribution de la présence journalière en fonction des périodes biologiques des choucas avec (A) surface de la présence journalière (km²), (B) étendue du chevauchement spatial intra-période des distributions de présence journalière (%), (C) distance entre le centroïde de la présence journalière et l'emplacement du nid (km), et (D) distance entre la limite la plus éloignée de la distribution de présence journalière et l'emplacement du nid (km).

En se concentrant sur les points GPS correspondant à la recherche alimentaire, les analyses ont révélé une utilisation marquée des prairies tout au long du cycle annuel. Les cultures de céréales et de maïs étant utilisées ponctuellement (Figure 2).

Figure 2 : Variation de la durée quotidienne de recherche alimentaire des Choucas des tours dans différents habitats en fonction de leurs périodes biologiques. (A) prairies, (B) céréales (C) maïs.

Les prairies sont utilisées presque quotidiennement par chaque oiseau, avec une durée d'alimentation plus longue pendant l'élevage des jeunes (environ 5h) par rapport aux autres phases (1 à 2h). De fait, les jeunes choucas sont nourris principalement d'insectes au printemps. Les champs de céréales sont utilisés le plus intensément (durée journalière de recherche alimentaire)  pendant la phase post-envol (environ 3h), coïncidant avec la moisson du blé. Contrairement à ce que laissait augurer les échos issus du monde agricole, la durée moyenne dans les parcelles de maïs est faible (< 1h) tout au long de l'année, avec une utilisation légèrement plus marquée pendant les phases de travail du sol et de semis. En hivernage, cette durée est intermédiaire, probablement liée à la recherche de grains restés au sol.

Les résultats témoignent d’un comportement sédentaire des mâles reproducteurs, avec une recherche alimentaire basée principalement sur les prairies tout au long de l'année. Les cultures de céréales et de maïs sont utilisées ponctuellement en lien avec le stade phénologique de la culture.

Les suivis GPS ont fourni une estimation précise des déplacements et de l'utilisation des habitats agricoles situés à proximité directe des zones de nidification. Toutefois, ces analyses ne permettent pas de déterminer la prise alimentaire réelle. Des observations complémentaires sont ainsi nécessaires pour estimer cette prise alimentaire et la pression réellement exercée par ces oiseaux sur les cultures.

Cette étude a été menée par Rémi Chambon (UMR BOREA - Biologie des Organismes et des Ecosystèmes Aquatiques), Jérôme Fournier-Sowinski (UMR CESCO - Centre d'Ecologie et des Sciences de la Conservation), Jean-Marc Paillisson et Sébastien Dugravot (UMR ECOBIO - Ecosystèmes, Biodiversité, Evolution), et financée par la DREAL Bretagne et la Fondation François Sommer.

Pour en savoir plus:

Chambon, R., Paillisson, J.-M., Fournier-Sowinski, J., & Dugravot, S. (2024). Agricultural habitat use and selection by a sedentary bird over its annual life cycle in a crop-depredation context. Movement Ecology, 12:26. https://doi.org/10.1186/s40462-024-00462-0

Rédaction : Sébastien Dugravot

vendredi 12 juillet 2024

Les fluctuations de survie entre années diffèrent-elles entre passereaux migrateurs et résidents ?

Bouscarle de Cetti (B. Mohring)
En période de reproduction, les communautés d'oiseaux de latitudes tempérées sont composées de deux groupes d'espèces : les espèces qui passent tout leur cycle annuel dans leur région de reproduction ou à proximité (quelques centaines de kilomètres), et les espèces migratrices à longue distance qui passent 4-5 mois en France et le reste en voyage vers et sur leurs aires d'hivernage africaines. Ces migrations saisonnières sont réputées risquées, exposant les oiseaux à de multiples nouveautés (prédateurs, ressources, compétition) et contraintes physiologiques (effort physique, déficit de sommeil, phénologie).

Malgré ces différences, l’étude récente de Ghislain et al. (2024, Ecology) révèle que les variations entre années de survie des adultes des 16 espèces de passereaux les plus communs en France sont très fortement synchronisées: elles sont communes à 73 % (47-94%) entre les espèces, comprenant 9 résidentes ou migratrices à courte distance et 7 migratrices à longue distance. Autrement dit, les années de forte - ou faible - mortalité sont majoritairement les mêmes sur l'ensemble des espèces, quelles que soient leurs stratégies migratoires. En somme, la qualité des conditions pour la reproduction (probablement via les coûts de reproduction) semble plus compter que la dangerosité du trajet migratoire ou les différences de rigueur hivernale.

Figure : Les variations annuelles des taux de survie entre les 16 espèces étudiées sont très fortement synchrones (à 73%), bien que 9 espèces soient résidentes/migratrices à courte distance (en orange) et 7 soient migratrices à longue distance (en bleu).

Ce résultat, complété par quelques autres références récentes discutées dans l'article, soutient que les qualités des conditions environnementales dans lesquelles les oiseaux se reproduisent ont une incidence déterminante sur leur probabilité de survivre jusqu'à la saison de reproduction suivante, même pour les espèces ne passant que le tiers de l'année dans leur aire de reproduction. Cela renforce l'idée qu'il est prioritaire de maintenir des écosystèmes diversifiés et fonctionnels sous nos latitudes, pour préserver la biodiversité commune aviaire, y compris celle que nous partageons à l'échelle intercontinentale.

Les espèces prises en compte étaient (classées des plus au moins synchrones avec les autres): 

- pour les résidentes et migratrices à courte distance: Fauvette à tête noire, Rougegorge familier, Accenteur mouchet, Mésange charbonnière, Troglodyte mignon, Merle noir, Grive musicienne, Pouillot véloce, et Bouscarle de Cetti (cette dernière étant la moins 'synchrone', probablement du fait de sa sensibilité à la rigueur hivernale);

-  pour les migratrices à longue distance: Rousserolle effarvate, Fauvette grisette, Rossignol philomèle, Hypolaïs polyglotte, Pouillot fitis, Phragmite des joncs, et Fauvette des jardins.

Cette étude a été possible grâce aux 226 bagueur-se-s ayant collecté les données de Suivi Temporel des Oiseaux Communs par Capture, et l’analyse de ces données par une équipe de chercheur-se-s des unités Mécanismes adaptatifs et évolution, Centre d’Ecologie et des Sciences dela Conservation, Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive, et Centre d’Etudes Biologiques de Chizé, financés par la Région Nord-Pas de Calais / Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (projet DEMOSPACE) et l'Agence National de la Recherche (projet DEMOCOM 'Climate and management effects on community dynamics - developing multispecies demography', ANR-16-CE2-0007).

Pour en savoir plus, lisez les articles :

Ghislain, M. / Bonnet, T., Godeau, U., Dehorter, O., Gimenez, O., & Henry, P.-Y. (2024). Synchrony in adult survival is remarkably strong among common temperate songbirds across France. Ecology 105(6), e4305.

Bonnet, T., Ghislain, M., & Henry, P.-Y. (2024). Studying interspecific synchrony in bird survival using Constant Effort Sites mist-netting scheme. The Bulletin of the Ecological Society of America, 105(3), e2155. 

Rédaction: Manon Ghislain