En réponse à la précocité accrue de la chaleur printanière, de nombreuses espèces avancent leur période de reproduction. Cette capacité à ajuster les stades de son cycle de vie annuelle aux conditions environnementales est appelée 'plasticité phénologique' et varie d'une espèce à l'autre, en fonction des traits d'histoire de vie et écologiques. Bailey et al. (2022) ont montré d'importantes variations dans la plasticité phénologique des dates de ponte entre les populations de mésanges (Parus major et Cyanistes caeruleus) et ont suggéré que l'environnement local (type de forêt et exposition au changement climatique) expliquait ces différences de plasticité. Leur étude a souligné l'importance d'étudier les variations de plasticité entre les populations, car cela pourrait expliquer le déclin actuel de certaines populations. Cependant, l'étude des changements phénologiques dans l'espace et dans le temps est difficile à réaliser lorsqu'on est limité à l'étude d'espèces se reproduisant dans des nichoirs.
Défi méthodologique : Déduire la phénologie de reproduction à partir de suivis par capture à large échelle - le Suivi Temporel des Oiseaux Communs par Capture
Contrairement aux suivis d'individus se reproduisant en
nichoirs, les suivis participatifs, tels que le STOC Capture, fournissent des données couvrant
une bien plus grande variété d'habitats (et d'espèces) -mais ne documentent la reproduction qu'à l'échelle des populations. L'un des indices observables de la phénologie
de la reproduction est l'apparition croissante de juvéniles dans la population
au cours de la saison de reproduction (inspiré de Moussus et al. 2011, Fig. 1). Dans l'étude récente de Cuchot et al. (2024), le premier objectif a été de concevoir une méthode d'analyse permettant d'estimer la phénologie de la reproduction à partir des données d'âge-ratio des oiseaux capturés. Pour ce faire, Cuchot et al. ont utilisé des modèles non linéaires hiérarchiques, dans un cadre Bayésien, exploitant les paramètres de la forme de la courbe "en S" associés à la phénologie de l'envol des jeunes (Fig. 1), et permettant de modéliser les variations de phénologie entre sites et entre années en fonction des variations de température (c'est-à-dire la plasticité de la date d'envol à la température).
Figure 1. La proportion de juvéniles augmente tout au long de la saison de reproduction. Au début, les poussins ne sont pas encore nés (ou envolés), seuls les adultes sont capturés. À la fin, presque tous les juvéniles se sont envolés et peuvent être capturés.
Défi scientifique : Comprendre l'influence des perturbations anthropiques de l'habitat (urbanisation, déforestation) sur la plasticité phénologique
Le modèle de Cuchot et al. a ainsi permis d'étudier deux facteurs d'habitat pouvant générer des différences de plasticité phénologique entre sites : le degré de déforestation (mesuré par la quantité de couvert forestier, inversement
proportionnelle à la proportion de terres agricoles), et le degré d'urbanisation (mesuré par la proportion de
surface imperméabilisée, c'est à dire bâti et infrastructures de transport), dans un rayon de 1 km autour de chaque site de STOC Capture. Cette étude a été menée chez deux espèces dépendant des arbres pour se reproduire: la mésange charbonnière - réputée généraliste (abondante dans de nombreux habitats), et la mésange bleue - relativement plus spécialisée sur les forêts de feuillus.
Les résultats indiquent que la plasticité phénologique est très variable entre les populations de mésanges. Plus il fait chaud tôt, plus les jeunes mésanges s'envolent tôt (c'est à dire plus les mésanges se reproduisent tôt). Cette relation est largement maintenue sur le gradient rural-urbain (Fig. 2). Par contre, les deux espèces diffèrent dans leur réponse à la perte du couvert forestier, associée à l'exposition à l'habitat agricole: l'espèce généraliste (M. charbonnière) maintient sa plasticité phénologique relativement stable, alors que l'espèce spécialiste de forêt de feuillus (M. bleue) perd sa plasticité (elle ne s'ajuste plus aux fluctuations de température du printemps). Ces résultats indiquent que l'habitat et/ou son niveau de perturbation par les activités humaines peuvent modifier les capacités d’ajustement du cycle de reproduction en réponse au réchauffement climatique, même chez des espèces communes.
Ces découvertes sur la plasticité de reproduction n'auraient pas été possibles sans l'engagement de très nombreux bagueurs et bagueuses, sur les 30 dernières années (Fig. 3), dans le cadre du programme STOC Capture mené par le CRBPO (Centre de Recherches sur la Biologie des Populations d'Oiseaux), soutenu par le Muséum National d'Histoire Naturelle (MNHN), le CNRS et l'Office Français de la Biodiversité. La présente recherche a été menée dans le cadre du projet MOMMIN, et de la thèse de doctorat de Paul Cuchot (voir post), grâce à un mécénat de la fondation BNP Paribas.
Figure 3. Sites STOC Capture utilisés dans l'étude de Cuchot et al. (2024) |
Références citées
Bailey, L. D., van de Pol, M., Adriaensen, F., Arct, A., Barba, E., Bellamy, P. E., Bonamour, S., Bouvier, J.-C., Burgess, M. D., Charmantier, A., Cusimano, C., Doligez, B., Drobniak, S. M., Dubiec, A., Eens, M., Eeva, T., Ferns, P. N., Goodenough, A. E., Hartley, I. R., … Visser, M. E. (2022). Bird populations most exposed to climate change are less sensitive to climatic variation. Nature Communications, 13(1), 2112.
Moussus, J.-P., Clavel, J., Jiguet, F., & Julliard, R. (2011). Which are the phenologically flexible species? A case study with common passerine birds. Oïkos, 120(7), 991–998.
Pour en savoir plus, lisez l'article complet:
Cuchot, P., Bonnet, T., Dehorter, O., & Henry, P.-Y. / Teplitsky, C. (2024). How interacting anthropogenic pressures alter the plasticity of breeding time in two common songbirds. Journal of Animal Ecology 93(7): 771-790.
Voir également le post, en anglais, sur le blog 'Animal Ecology in Focus'.
Rédaction: Paul Cuchot