Gobemouche noir (J.-M. Fourcade) |
La France est connue depuis longtemps comme une aire de transit de Gobemouche noir (Ficedula hypoleuca) en migration, avec une forte
concentration dans le quart sud-ouest. La valeur de cette région comme zone de
halte migratoire n’était cependant pas connue précisément : simple transit avec une
convergence liée à l’effet d’entonnoir de la barrière pyrénéenne et de l’océan
Atlantique ou région d’engraissement avec un rôle fonctionnel proche de celui
de la péninsule ibérique ? Cette dernière est reconnue comme la principale zone
d'engraissement de l’espèce avant sa traversée du Sahara. Avec les données
recueillies lors du camp de baguage de Bayonne / Villefranque (Pays basque),
nous avons estimé le taux d’accumulation de réserves, la durée de halte et la
quantité de réserves énergétiques. Ces résultats ont été publiés par Fourcade et al. en 2022.
La durée moyenne de halte était relativement élevée, estimée à 8.4 jours
après la première capture par un modèle CMR et à 16.8 jours au total sous
l’hypothèse d’une durée similaire avant la première capture. Le taux moyen
d’engraissement quotidien a été estimé à 0.29 g jour-1 (3.1% de la
masse corporelle maigre). Surtout, des effets comme la date et la masse
corporelle à l’arrivée étaient non significatifs, soutenant l'idée que la
région était ciblée pour engraissement dès le début de la migration et pas
seulement sous la pression de l’urgence migratoire en fin de saison et ce,
indépendamment de la condition corporelle des individus. Parallèlement, une
forte relation positive était observée entre la masse corporelle au départ et
le taux d’engraissement, résultat attendu chez les individus qui ont pour
stratégie de minimiser le temps passé en migration. Cette stratégie est
coûteuse d’un point de vue énergétique et repose sur peu de sites de halte pour
lesquels l’enjeu de conservation est important. Par ailleurs et de façon
inattendue, des durées minimales de halte de 23 et 28 jours ont été observées
chez des individus en bonne condition corporelle. De telles durées ne
correspondent pas à des haltes conventionnelles d’engraissement, et ont déjà été observées, bien que rares, pour diverses espèces transsahariennes (documentées dans des études à l'aide de géolocalisateurs).
La quantité moyenne de réserves
énergétiques ne différait pas selon l'âge ou l'année et représentait en moyenne
33.8 % de la masse corporelle maigre. Les réserves des oiseaux les plus lourds
(> 75e percentile), c-à-d ceux ayant la plus forte probabilité de
quitter le site rapidement, représentaient en moyenne 57.3 % de la masse
maigre. Ces valeurs sont inhabituelles lorsque la barrière écologique à
traverser est encore éloignée. L’estimation de l’autonomie de vol correspondait
ainsi à 80 % de la distance jusqu'à la marge sud du Sahara. Au moins une halte
supplémentaire était donc nécessaire dans la péninsule ibérique, mais pour un
complément modéré.
Ces résultats montrent que des
comportements d'engraissement sous la contrainte du temps et des haltes
prolongées se produisent simultanément dans le sud-ouest de la France. Ces
comportements se produisent sur peu de sites spécifiques, qui fournissent une
part importante de l’énergie totale. Bien que le Sahara soit encore éloigné,
l’énergie nécessaire à sa traversée peut donc être acquise en grande partie
dans le sud-ouest de la France.
Figure 1. Différence de masse corporelle entre la première et la dernière capture (Δmass en g) selon le nombre de jours écoulés (Δdays) chez les gobemouches noirs de 1er automne (extrait de Fourcade et al., 2022). Les deux triangles représentent les deux individus avec des durées de séjour particulièrement longues.
Pour en savoir plus, lisez l'article complet:
Fourcade, J.-M., Fontanilles, P., & Demongin, L. (2022). Fuel management, stopover duration and potential flight range of pied flycatcher Ficedula hypoleuca staying in South-West France during autumn migration. Journal of Ornithology, 163, 61–70. https://doi.org/10.1007/s10336-021-01941-6
Rédacteur: Jean-Marc Fourcade