vendredi 26 octobre 2018

Comment dissuader des grands corbeaux de se regrouper près d'élevages ? Le dérangement ou le déplacement des individus sont inefficaces.



Grand corbeau avec marques et balise GPS

Suite à des problèmes de grands corbeaux impactant des activités agricoles (élevage) en périphérie d’une centre de stockage des déchets à ciel ouvert, l’ONCFS a été mandaté pour mettre en œuvre des actions de gestion pour réduire ces conflits locaux entre activités humaines et faune sauvage. Néanmoins, pour s’assurer de l’efficacité des mesures prises, un projet de recherche a été monté en parallèle, porté par Christian Itty, pour mesurer l’impact de deux mesures classiquement préconisées dans cette situation : (i) la perturbation des individus (pour disperser les regroupements locaux) et (ii) le déplacement des individus (captures pour relachers à distance, dit translocation). Ces actions étaient celles préconisées par le Conseil National de Protection de la Nature, suite à plusieurs examens du dossier. Cette étude a donné lieu au dépôt d’un programme personnel auprès du CRBPO (PP n°800).
Dans un article paru récemment, Marchand et al. (2018) ont évalué l’efficacité (i) de perturbations ponctuelles (tirs non létaux) effectuées en fin de journée lors des phases d’alimentation sur le casier puis lors de la constitution des dortoirs pendant deux soirées consécutives, et (ii) de délocalisations à des distances allant de 20 à 240 km. Pour cela nous nous sommes basés sur des protocoles de Capture-Marquage-Recapture sur des oiseaux bagués couleurs (n=193) et/ou équipés de marques visuelles (n=155), et ré-observés par des observateurs et des pièges photos. Ensuite, nous avons documenté l'écologie spatiale des corbeaux déplacés versus celle de grands corbeaux témoins (c'est-à-dire libérés in situ, sans déplacement). Bien que la probabilité de retour varie largement avec la distance et le temps de relocalisation après la libération, 85,3% des grands corbeaux déplacés sont revenus à la décharge en 3 ans. Et les perturbations ponctuelles n’ont diminué l’abondance sur site des corbeaux que pendant quelques heures. Plus généralement, cette étude a révélé que les grands corbeaux non-reproducteurs ont un domaine vital extrêmement étendu et se déplacent sur de grandes distances. Ils fonctionnent selon un réseau de sites de regroupements, à l’échelle de quasiment tout le Massif Central. Le suivi mis en œuvre grâce au déploiement d’émetteurs GPS (n=32) a permis de documenter que la superficie totale occupée par les corbeaux contrôles atteint 40492 km², soit 22% de l’aire de répartition de l’espèce en France. A l’échelle du jour, et de la semaine, le taux de remplacement des individus dans la zone d’étude (casier du centre de stockage des déchets) était très élevé (32% de renouvellement par jour, 64% par semaine).
Du fait de ces éléments inconnus au départ, les actions de gestion ponctuelles / locales telles que préconisées n’ont pas eu l’impact souhaité et n’ont donc pas d’intérêt à être poursuivies ou généralisées (sans mentionner les autres aspects négatifs, tels que le bilan carbone, les ressources dédiées, et les perturbations ponctuelles inutiles aux espèces non-cibles).

La poursuite du suivi montre que le taux de retour continue encore à augmenter, certains oiseaux revenant même longtemps après la durée initiale de suivi. Par ailleurs l’équipement avec un GPS d’un jeune d’origine connu (au nid) a montré que sa distance de dispersion dépasse la centaine de km peu de temps après son émancipation. Cela montre que ces zones de regroupement accueillent des oiseaux pouvant être nés très loin, et que le site d’étude peut en fait drainer des oiseaux de tout le centre et le nord du Massif Central, voire au-delà. Enfin nous savons avec nos observations actuelles que la durée de présence des oiseaux au sein de ces regroupements peut s’étaler sur plusieurs années. En effet aujourd’hui des oiseaux marqués adultes dépassant les 5 ans sont toujours présents au sein de ces regroupements de jeunes/immatures, qui accueillent donc aussi des oiseaux expérimentés mais non cantonnés en tant que reproducteurs.

Pour en savoir plus, lisez les articles :

Loretto, M.-C., Schuster, R., Itty, C., Marchand, P., Genero, F. & Bugnyar, T. (2017). Fission-fusion dynamics over large distances in raven non-breeders. Scientific Reports, 7, 380

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