Grand corbeau avec marques et balise GPS |
Suite à des problèmes de grands corbeaux impactant des
activités agricoles (élevage) en périphérie d’une centre de stockage des
déchets à ciel ouvert, l’ONCFS a été mandaté pour mettre en œuvre des actions
de gestion pour réduire ces conflits locaux entre activités humaines et faune
sauvage. Néanmoins, pour s’assurer de l’efficacité des mesures prises, un
projet de recherche a été monté en parallèle, porté par Christian Itty, pour
mesurer l’impact de deux mesures classiquement préconisées dans cette situation : (i) la perturbation des individus (pour disperser
les regroupements locaux) et (ii) le déplacement
des individus (captures pour relachers à distance, dit translocation). Ces
actions étaient celles préconisées par le Conseil National de Protection de la Nature,
suite à plusieurs examens du dossier. Cette étude a donné lieu au dépôt d’un
programme personnel auprès du CRBPO (PP n°800).
Dans un article paru récemment, Marchand et al. (2018) ont évalué
l’efficacité (i) de perturbations ponctuelles (tirs non létaux) effectuées en
fin de journée lors des phases d’alimentation sur le casier puis lors de la
constitution des dortoirs pendant deux soirées consécutives, et (ii) de
délocalisations à des distances allant de 20 à 240 km. Pour cela nous nous
sommes basés sur des protocoles de Capture-Marquage-Recapture sur des oiseaux
bagués couleurs (n=193) et/ou équipés de marques visuelles (n=155), et
ré-observés par des observateurs et des pièges photos. Ensuite, nous avons
documenté l'écologie spatiale des corbeaux déplacés versus celle de grands corbeaux témoins (c'est-à-dire libérés in situ, sans déplacement). Bien que la
probabilité de retour varie largement avec la distance et le temps de
relocalisation après la libération, 85,3% des grands corbeaux déplacés sont
revenus à la décharge en 3 ans. Et les perturbations ponctuelles n’ont diminué
l’abondance sur site des corbeaux que pendant quelques heures. Plus
généralement, cette étude a révélé que les grands corbeaux non-reproducteurs
ont un domaine vital extrêmement étendu et se déplacent sur de grandes
distances. Ils fonctionnent selon un réseau de sites de regroupements, à
l’échelle de quasiment tout le Massif Central. Le suivi mis en œuvre grâce au
déploiement d’émetteurs GPS (n=32) a permis de documenter que la superficie
totale occupée par les corbeaux contrôles atteint 40492 km², soit 22% de l’aire
de répartition de l’espèce en France. A l’échelle du jour, et de la semaine, le
taux de remplacement des individus dans la zone d’étude (casier du centre de
stockage des déchets) était très élevé (32% de renouvellement par jour, 64% par
semaine).
Du fait de ces éléments inconnus au départ, les actions de
gestion ponctuelles / locales telles que préconisées n’ont pas eu l’impact
souhaité et n’ont donc pas d’intérêt à être poursuivies ou généralisées (sans
mentionner les autres aspects négatifs, tels que le bilan carbone, les
ressources dédiées, et les perturbations ponctuelles inutiles aux espèces non-cibles).
La poursuite du suivi montre que le taux de retour continue
encore à augmenter, certains oiseaux revenant même longtemps après la durée
initiale de suivi. Par ailleurs l’équipement avec un GPS d’un jeune d’origine
connu (au nid) a montré que sa distance de dispersion dépasse la centaine de km
peu de temps après son émancipation. Cela montre que ces zones de
regroupement accueillent des oiseaux pouvant être nés très loin, et que le site
d’étude peut en fait drainer des oiseaux de tout le centre et le nord du Massif
Central, voire au-delà. Enfin nous savons avec nos observations actuelles que
la durée de présence des oiseaux au sein de ces regroupements peut s’étaler sur
plusieurs années. En effet aujourd’hui des oiseaux marqués adultes dépassant
les 5 ans sont toujours présents au sein de ces regroupements de
jeunes/immatures, qui accueillent donc aussi des oiseaux expérimentés mais non
cantonnés en tant que reproducteurs.
Pour en savoir plus, lisez les articles :
Marchand, P., Loretto, M.-C., Henry, P.-Y., Duriez, O.,
Jiguet, F., Bugnyar, T., et C. Itty (2018). Relocations and punctual disturbance fail to sustainably disperse non-breeding common ravens Corvus corax due to homing behaviour and extensive home ranges. European Journal of Wildlife Research, 64, 57.
Loretto,
M.-C., Schuster, R., Itty, C., Marchand, P., Genero, F. & Bugnyar, T.
(2017). Fission-fusion dynamics over large distances in raven non-breeders.
Scientific Reports, 7, 380
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire