vendredi 14 janvier 2022

Comment l'habitat ou les fluctuations climatiques interviennent-ils dans la compétition entre espèces proches ? Réponses en vidéo

Dr. Maud QUEROUE
Comprendre comment les relations de prédation, de compétition ou de co-occurrence façonnent la dynamique des espèces est un objectif fondamental en écologie. Maud QUEROUE s’est penchée sur ces sujets dans le cadre de sa thèse de doctorat, à l’interface entre l’écologie et la modélisation (cf. post dédié). Son mémoire, intitulé 'Prise en compte des interactions interspécifiques dans l’étude de la dynamique des populations d’oiseaux grâce aux modèles intégrés multispécifiques' a été soutenu le 7 décembre 2021, à l’Université de Montpellier. 
 
Pour visionner sa présentation sur le sujet et les échanges avec le jury, rendez-vous sur: https://youtu.be/qavoZ6nbtNI
 
Cette vidéo est composée d’une présentation d’environ 45 minutes, suivie d’une discussion avec le jury d’environ 2h. Dans cette présentation, Maud commence par définir et présenter l’intérêt de l’utilisation de modèles de populations intégrés (IPM) multispécifiques pour comprendre comment la compétition, les relations proie-prédateur ou les facteurs environnementaux influencent la dynamique de binômes d'espèces. Le principe des IPM est de combiner des données de natures différentes dans une même analyse, telles que des données de suivi individuel (capture-recapture) et des données de suivi de population (comptage). Cette analyse 'intégrée' a pour but de mieux estimer les tendances de population ainsi que les processus sous-jacents (démographiques, comme la survie ou le succès reproducteur). L'extension des IPM à plusieurs espèces permet d’analyser l’effet de la taille de population d’une espèce sur les paramètres démographiques d’une autre espèce, et ainsi d’appréhender l’effet de la présence d’une espèce sur les espèces avec qui elle interagit.
 
Maud a réalisé trois études de cas:
 
1) les interactions proie-prédateur entre Pétrel bleu (Halobaena caerulea) et Labbe subantarctique (Catharacta lönnbergi) de l'Ile de Mayes (Kerguelen), en fonction des fluctuations annuelles des conditions environnementales (météorologie et productivité primaire);
 
2) la compétition intraspécifique et interspécifique entre Mésange bleue (Cyanistes caeruleus) et Mésange charbonnière (Parus major) en fonction de l'habitat, la mésange bleue étant plus spécialisée sur les habitats forestiers caducifoliés que la mésange charbonnière;
 
3) la compétition intraspécifique et interspécifique entre la Fauvette à tête noire (Sylvia atricapilla) et la Fauvette des jardins (Sylvia borin), en fonction du degré de recouvrement de leurs périodes de reproduction, la fauvette des jardins étant une migratrice inter-continentale et se reproduisant plus tard que la fauvette à tête noire.
 
Pour les études de cas sur mésanges et fauvettes, Maud a combiné les données du Suivi Temporel des Oiseaux Communs par Capture (suivis individuelles et paramètres démographiques) et par points d'écoute (comptages et tailles de populations). Cette modélisation conjointe de deux sources d’information pour deux espèces a permis d'accéder aux rôles de la compétition intraspécifique (entre individus d'une même espèce) et interspécifique (entre individus d'espèces différentes) dans la coexistence dans de mêmes habitats de ces espèces qui ont des écologies et histoires évolutives très proches.
 
 
Ce travail a été dirigé par Olivier Gimenez (Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive), Pierre-Yves Henry (CRBPO - Mécanismes adaptatifs et évolution / Centre d'Ecologie et des Sciences de la Conservation) et Christophe Barbraud (Centre d’Etudes Biologiques de Chizé). Il s’inscrit dans le projet DEMOCOM (Effets de la gestion et du climat sur la dynamique des communautés - Développement d'une démographie multi-espèce, ANR-16-CE2-0007, cf. post dédié) qui a pour objectif d’améliorer la compréhension des processus démographiques responsables des dynamiques d'assemblage d'espèces en réponse aux fluctuations climatiques.
 
Ces études ont été possibles grâce à l'implication sur des décennies de volontaires et professionnels dans le cadre du STOC et du suivi des oiseaux marins de l'Ile de Mayes (programme ORNITHOECO). Merci aux nombreux bagueurs qui ont aidé Maud dans la catégorisation d’habitat des sites de STOC Capture, et à Jean-Pierre Moussus, qui a aidé à l'adaptation de sa méthode d'analyse des anomalies de phénologie
 
Rédactrice: Maud Quéroué
 

 

lundi 10 janvier 2022

Dans le secret des roselières: 18 ans de migration postnuptiale dans l'Estuaire de la Loire

L’ACROLA (Association pour la Connaissance et la Recherche Ornithologique Loire et Atlantique), ainsi que tous les bagueurs et aide-bagueurs ayant participé au suivi de la migration postnuptiale des passereaux paludicoles sur la station de baguage Acro’pôle de Donges-Est en estuaire de la Loire, ont le plaisir de vous présenter leur publication de 18 ans d’étude scientifique : « Dans le secret des roselière ». 

Cet ouvrage est le fruit d’un remarquable travail d’analyse de près de 206 000 captures d’oiseaux entre 2002 et 2019, rédigé en partenariat avec Nantes-Saint-Nazaire Port. Il révèle le fonctionnement de la roselière en tant que halte migratoire indispensable à la survie de nombreuses espèces inféodées à cette végétation si particulière.

Différents paramètres sont étudiés : diversité spécifique, abondance, phénologie globale de migration, âge-ratio, durée de séjour et taux d’engraissement, connectivité nationale et internationale de la station de Donges-Est, zoom sur 12 espèces paludicoles, bilan et perspectives.

Plus d’une année d’analyses et de concertation ont permis de lever le voile sur l’évolution et l’état de conservation des espèces capturées sur ce site exceptionnel. Le maintien de l’effort soutenu dans les suivis scientifiques ainsi que son emplacement stratégique sur l’axe de migration Manche-Atlantique confèrent à la station de baguage Acro’pôle un rôle primordial de veille écologique sur ces espèces, à l’avenir incertain face au changement climatique.

Prix public : 15€ (frais de port compris)

Pour se le procurer : 

- en ligne (cliquer ici) ou QR code ci-joint

- par courrier: Espace d’accueil de l’ACROLA, 10 rue de la paix, 44480 DONGES.

Rédacteurs: Hubert Dugué et Camille Boucher

mardi 4 janvier 2022

Découverte d’une nouvelle route de migration chez les passereaux entre la Sibérie et l’Europe

Pipit de Richard en Galice, Espagne (D. Lopez-Velasco)
L'évolution des routes de migration reste un phénomène mal compris car ces changements sont rarement observés sur des échelles de temps humaines. Une étude récente, publiée dans la revue Current Biology, dévoile l’émergence d’une route de migration entre la Sibérie et l’Europe jusqu’ici inconnue chez les passereaux. L’existence d’individus qui migrent vers l’ouest chez une espèce qui hiverne habituellement en Asie du Sud-Est constitue un des rares exemples connus d’évolution récente des voies de migration chez les passereaux.

Une forte proportion des oiseaux vivants dans les régions tempérées ou froides sont des migrateurs saisonniers : ils se déplacent deux fois par an entre leurs zones de nidification, où les ressources, alimentaires notamment, sont abondantes en été mais rares l’hiver, et leurs zones d’hivernage où ils trouveront des ressources pour survivre le reste de l’année. Chez de nombreuses espèces (p. ex. grues, cigognes, oies), ces routes de migration sont apprises par les jeunes qui suivent les adultes lors de leur premier voyage. Chez ces espèces, on connait plusieurs changements contemporains de routes de migration et de sites d’hivernage. En revanche chez les passereaux (les petits oiseaux), les jeunes des espèces migratrices voyagent seuls en suivant un programme de migration codé génétiquement. Chez ces espèces, des changements de route de migration impliquent donc une évolution génétique et sont beaucoup plus rares.  

Malgré cette apparente stabilité des routes migratoires et pour des raisons encore inconnues, des individus 'égarés' de plusieurs passereaux d’origine sibérienne sont observés chaque année en faible nombre en Europe, bien loin de leurs routes habituelles. Parmi ces espèces, l’augmentation rapide des effectifs de Pipit de Richard (Anthus richardi) en Europe au cours des dernières décennies a interpellé les chercheurs. En effet, cette espèce migratrice et nicheuse dans les steppes d’Asie centrale était jusque-là connue pour passer l’hiver en Asie du Sud-Est. Des premiers cas d’hivernage notés dans les années 1990 dans le sud de la France ont soulevé l’hypothèse d’une migration régulière de cette espèce asiatique vers l’Europe pour y passer l’hiver.

Pipit de Richard porteur d'un GLS (P. Dufour)
Le marquage individuel de plusieurs individus en hiver dans le sud de la France a montré que les mêmes individus revenaient d’année en année sur les mêmes sites d’hivernage, confirmant le statut de migrateur régulier de l’espèce en Europe. A l’aide de géolocalisateurs (GLS) posés sur quelques individus, les chercheurs ont prouvé que les oiseaux passant l’hiver dans le sud de la France se reproduisent en Sibérie, dans le sud de la Russie et près de la Mongolie, à la bordure occidentale de la distribution connue de l’espèce. Ils entreprennent ainsi un long trajet Est-Ouest d’environ 7000 km, une direction complétement opposée à celle que suit normalement l’espèce pour se rendre sur ces quartiers d’hivernages ancestraux en Asie du Sud-Est.

Aire de distribution du Pipit de Richard et la nouvelle route de migration vers l’Europe découverte par géolocalisation


Pour expliquer l’origine de cette voie de migration vers l’Europe au sein d’une espèce qui migre normalement vers l’Asie, les auteurs proposent que certains des individus égarés en automne en Europe aient pu trouver des zones d’hivernage favorables en Europe, leur permettant de survivre puis de revenir se reproduire dans leur aire de reproduction habituelle. Si leur trajet atypique résulte d’une modification de leur patrimoine génétique, ils pourraient avoir transmis à leur descendance cette nouvelle route de migration. En modélisant la distribution hivernale de l’espèce en Asie et en Europe, ils montrent par ailleurs que l’espèce a pu bénéficier d’une hausse des températures liée au réchauffement climatique pour coloniser de nouveaux sites d’hivernages, notamment dans le sud de la France.

Ces recherches viennent s’ajouter à d’autres études montrant comment les espèces migratrices, et notamment les passereaux, peuvent établir de nouvelles zones d’hivernages et de nouvelles routes de migration, leur permettant de s’adapter aux modifications du climat.

Le présent texte est une version adaptée du communiqué de presse diffusé par le CNRS pour annoncer cette découverte.  

Cette étude est issue de la thèse de doctorat de Paul Dufour, qui a traité de l'évolution de la migration à longue distance chez les oiseaux. Ce projet est le fruit d'une collaboration entre Pierre-André Crochet du Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE), Sébastien Lavergne du Laboratoire d’Ecologie Alpine (LECA), et Frédéric Jiguet du CRBPO / Centre d'Ecologie et des Sciences de la Conservation (CESCO). Nous remercions particulièrement Marc Illa, Albert Burgas, Oriol Clarabuch, Thomas Dagonet, Stephan Tillo, et les autres bagueurs et aides bagueurs pour leur aide précieuse dans la capture des oiseaux. Nous remercions également l'ensemble des observateurs pour le suivi des oiseaux et notamment Benjamin Long et Phillippe Bailleul pour les nombreuses heures passées à les suivre sur les sites de Castres et de Fréjus.

Référence: Dufour P, de Franceschi C, Doniol-Valcroze P, Jiguet F, Guéguen M, Renaud J, Lavergne S, Crochet P-A. A new westward migration route in an Asian passerine bird. Sous presse dans Current Biology.

Pour en savoir plus, demandez l'article complet à Paul Dufour, ou lisez sa thèse de doctorat (disponible en ligne).

Rédacteur: Paul Dufour