L'effet des anomalies de température dépend du climat (Dubos et al. 2019: Fig. 1) |
Plus les animaux évoluent dans un environnement chaud, plus leur
taille est petite. Cette relation, issue des gradients latitudinaux de
taille, est connue comme la règle de Bergmann. Il a été proposé que cette règle
s’applique également aux effets du réchauffement climatique : plus le
climat d’une région se réchauffe, plus la taille des animaux diminue (Gardner
et al. 2011). Ce constat est controversé (Siepielski et al. 2019),
et semble issu essentiellement d’études dans des régions chaudes. Les
recherches de Nicolas Dubos ont porté sur l’examen de cette hypothèse sur les
oiseaux de région tempérée, à partir des relevés biométriques collectés dans le
cadre du Suivi Temporel des Oiseaux Communs par Capture en France (doctorat financé par le LabEx BCDiv). Une précédente étude avait déjà montré que la règle de Bergmann ne
s’applique pas aux oiseaux communs de France (Dubos et al. 2018, voir le post correspondant), puisque la relation moyenne, sur l’ensemble des
espèces analysées est à l’opposé: plus un printemps est chaud, plus les
jeunes sont grands. Nicolas a alors cherché à affiner notre compréhension de
cette relation, et les résultats viennent de paraître (Dubos et al. 2019). L’hypothèse proposée est que les printemps chauds seraient contraignants pour
la reproduction et la croissance (et se traduiraient par une réduction de la
taille des jeunes, cf. règle de Bergmann) uniquement dans les populations
exposées à des climats chauds. Les autres populations seraient en fait
en-dessous de leur optimum thermique, et les printemps chauds seraient
favorables à la reproduction et la croissance. Or en France, nous avons justement la transition entre des
régions climatiques tempérées (climats océanique et continental) et le sud de
la France qui se caractérise par des températures élevées et des sécheresses estivales.
Cette hypothèse a été testée sur
les mesures de longueur d’aile de 34101 juvéniles, de 9 espèces d’oiseaux, sur 15
années, provenant de 204 stations STOC Capture. Le principe a été de tester si
l’effet sur la longueur d’aile des anomalies locales de température printanière dépend de
la température moyenne du site d’étude. Cela revient à tester l’hypothèse
qu’une anomalie de +2°C n’a pas le même effet dans un site chaud que dans un
site froid. Et les résultats soutiennent l’hypothèse proposée : globalement,
les ailes de jeunes sont plus grandes lors des printemps chauds (comme dans
Dubos et al. 2018). Mais dans les populations les plus chaudes d’au moins 4
espèces (Mésange à longue queue, Merle noir, Fauvette à tête noire, Fauvette
grisette), ces printemps chauds sont accompagnés d’une réduction de la taille
des jeunes. Ces résultats indiquent que, en zone tempérée, la reproduction des
oiseaux est contrainte surtout par le froid, et éventuellement par le chaud
pour les populations en limite chaude de leur aire de répartition. Ces
résultats sont d’ailleurs parfaitement cohérents
avec les résultats obtenus sur les tailles des populations d’oiseaux
communs (abondance): plus une population est proche de la limite chaude de son
aire de répartition, plus son abondance décline ; inversement, plus
une population est proche de la limite froide, plus son abondance augmente
(Jiguet et al. 2010). Des constats similaires ont été obtenus pour les limites
d’aire de répartition, l’avancement de la
reproduction (décalage phénologique) et le
succès de reproduction (discuté par Dubos et al. 2019). Ainsi, l’effet du
réchauffement climatique n’est pas homogène dans l’espace, et il devrait être contraignant surtout pour les populations se maintenant dans des climats déjà
chauds.
Pour en savoir plus, lisez l'article:
Dubos, N., O. Dehorter, and P.-Y. Henry / I. Le Viol. 2019. Thermal constraints on body size depend on the population position within the species’ thermal range in temperate songbirds. Global Ecology and Biogeography 28:96–106.
Nicolas Dubos a également diffusé ces résultats dans un article de synthèse intitulé 'Ces espèces qui rétrécissent avec le changement climatique', paru dans The Conversation (22/04/2020), et par un clip vidéo hip-hop (voir le post dédié) !
Références citées:
Dubos, N., I. Le Viol, A. Robert, C. Téplitsky, M. Ghislain, O. Dehorter, R. Julliard, and P.-Y. Henry. 2018. Disentangling the effects of spring anomalies in climate and net primary production on body size of temperate songbirds. Ecography 41:1319–1330.
Gardner,
J. L., Peters, A., Kearney, M. R., Joseph, L., & Heinsohn, R. 2011.
Declining body size: A third universal response to warming? Trends in Ecology and Evolution, 26, 285–291.
Jiguet, F., Devictor, V., Ottvall, R., Van Turnhout, C., Van der Jeugd, H., & Lindström, A. 2010. Bird population trends are linearly affected by climate change along species thermal ranges. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 277, 3601–3608.
Jiguet, F., Devictor, V., Ottvall, R., Van Turnhout, C., Van der Jeugd, H., & Lindström, A. 2010. Bird population trends are linearly affected by climate change along species thermal ranges. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 277, 3601–3608.
Siepielski, A. M., M. B. Morrissey, S. M. Carlson, C. D. Francis, J. G. Kingsolver, K. D. Whitney, and L. E. B. Kruuk. 2019. No evidence that warmer temperatures are associated with selection for smaller body sizes. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences 286:20191332.
Rédacteur: Pierre-Yves Henry
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