mercredi 14 août 2019

Les passereaux communs sont plus grands les années chaudes - sauf dans les sites les plus chauds de France


L'effet des anomalies de température dépend du climat (Dubos et al. 2019: Fig. 1)


Plus les animaux évoluent dans un environnement chaud, plus leur taille est petite. Cette relation, issue des gradients latitudinaux de taille, est connue comme la règle de Bergmann. Il a été proposé que cette règle s’applique également aux effets du réchauffement climatique : plus le climat d’une région se réchauffe, plus la taille des animaux diminue (Gardner et al. 2011). Ce constat est controversé (Siepielski et al. 2019), et semble issu essentiellement d’études dans des régions chaudes. Les recherches de Nicolas Dubos ont porté sur l’examen de cette hypothèse sur les oiseaux de région tempérée, à partir des relevés biométriques collectés dans le cadre du Suivi Temporel des Oiseaux Communs par Capture en France (doctorat financé par le LabEx BCDiv). Une précédente étude avait déjà montré que la règle de Bergmann ne s’applique pas aux oiseaux communs de France (Dubos et al. 2018, voir le post correspondant), puisque la relation moyenne, sur l’ensemble des espèces analysées est à l’opposé: plus un printemps est chaud, plus les jeunes sont grands. Nicolas a alors cherché à affiner notre compréhension de cette relation, et les résultats viennent de paraître (Dubos et al. 2019). L’hypothèse proposée est que les printemps chauds seraient contraignants pour la reproduction et la croissance (et se traduiraient par une réduction de la taille des jeunes, cf. règle de Bergmann) uniquement dans les populations exposées à des climats chauds. Les autres populations seraient en fait en-dessous de leur optimum thermique, et les printemps chauds seraient favorables à la reproduction et la croissance. Or en France, nous avons justement la transition entre des régions climatiques tempérées (climats océanique et continental) et le sud de la France qui se caractérise par des températures élevées et des sécheresses estivales. Cette hypothèse a été testée sur les mesures de longueur d’aile de 34101 juvéniles, de 9 espèces d’oiseaux, sur 15 années, provenant de 204 stations STOC Capture. Le principe a été de tester si l’effet sur la longueur d’aile des anomalies locales de température printanière dépend de la température moyenne du site d’étude. Cela revient à tester l’hypothèse qu’une anomalie de +2°C n’a pas le même effet dans un site chaud que dans un site froid. Et les résultats soutiennent l’hypothèse proposée : globalement, les ailes de jeunes sont plus grandes lors des printemps chauds (comme dans Dubos et al. 2018). Mais dans les populations les plus chaudes d’au moins 4 espèces (Mésange à longue queue, Merle noir, Fauvette à tête noire, Fauvette grisette), ces printemps chauds sont accompagnés d’une réduction de la taille des jeunes. Ces résultats indiquent que, en zone tempérée, la reproduction des oiseaux est contrainte surtout par le froid, et éventuellement par le chaud pour les populations en limite chaude de leur aire de répartition. Ces résultats sont d’ailleurs parfaitement cohérents avec les résultats obtenus sur les tailles des populations d’oiseaux communs (abondance): plus une population est proche de la limite chaude de son aire de répartition, plus son abondance décline ; inversement, plus une population est proche de la limite froide, plus son abondance augmente (Jiguet et al. 2010). Des constats similaires ont été obtenus pour les limites d’aire de répartition, l’avancement de la reproduction (décalage phénologique) et le succès de reproduction (discuté par Dubos et al. 2019). Ainsi, l’effet du réchauffement climatique n’est pas homogène dans l’espace, et il devrait être contraignant surtout pour les populations se maintenant dans des climats déjà chauds.

Pour en savoir plus, lisez l'article: 

Dubos, N., O. Dehorter, and P.-Y. Henry / I. Le Viol. 2019. Thermal constraints on body size depend on the population position within the species’ thermal range in temperate songbirds. Global Ecology and Biogeography 28:96–106.


Références citées: 
Dubos, N., I. Le Viol, A. Robert, C. Téplitsky, M. Ghislain, O. Dehorter, R. Julliard, and P.-Y. Henry. 2018. Disentangling the effects of spring anomalies in climate and net primary production on body size of temperate songbirds. Ecography 41:1319–1330.
Gardner, J. L., Peters, A., Kearney, M. R., Joseph, L., & Heinsohn, R. 2011. Declining body size: A third universal response to warming? Trends in Ecology and Evolution, 26, 285–291.
Jiguet, F., Devictor, V., Ottvall, R., Van Turnhout, C., Van der Jeugd, H., & Lindström, A. 2010. Bird population trends are linearly affected by climate change along species thermal ranges. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 277, 3601–3608.
Siepielski, A. M., M. B. Morrissey, S. M. Carlson, C. D. Francis, J. G. Kingsolver, K. D. Whitney, and L. E. B. Kruuk. 2019. No evidence that warmer temperatures are associated with selection for smaller body sizes. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences 286:20191332.

Rédacteur: Pierre-Yves Henry

jeudi 8 août 2019

Hypothèses et résultats de suivi de la plus longue migration: le cas de la Sterne arctique

Voici le résumé d'un article qui vient de sortir sur le plus grand migrateur au monde : la Sterne arctique (Alerstam et al. 2019).

Sterne arctique (Source: Wikimedia)
La Sterne arctique Sterna paradisaea effectue la plus longue migration annuelle connue sur Terre, se déplaçant entre les sites de reproduction dans les régions arctiques et tempérées du nord et les zones de mue de la banquise de l'Antarctique. Salomonsen (1967, Biologiske Meddelelser, Copenhague Danske Videnskabernes Selskabernes Selskab, 24, 1) a proposé une hypothèse de ce modèle de migration globale, suggérant que la distribution de nourriture, les régimes de vent, la distribution de glace de mer et les habitudes de mue sont des déterminants écologiques et évolutionnaires clés. Nous avons utilisé des géolocalisateurs légers pour enregistrer 12 voyages annuels de huit individus de sternes arctiques se reproduisant dans la mer Baltique. Les cycles de migration ont été évalués à la lumière des hypothèses de Salomonsen et comparés aux résultats des études de géolocalisation des populations de sternes arctiques du Groenland, des Pays-Bas et de l'Alaska. Les sternes de la Baltique ont effectué un circuit migratoire annuel de 50 000 km, exploitant des régions océaniques à forte productivité dans l'Atlantique Nord, le courant de Benguela et l'océan Indien entre l'Afrique australe et l'Australie (incluant parfois la mer Tasmanie). Elles sont arrivées vers le 1er novembre dans la zone antarctique à des longitudes très lointaines vers l'est (dans un cas même à la mer de Ross) et se sont ensuite déplacées vers l'ouest sur 120-220 degrés de longitude vers la région de la mer de Weddell. Elles sont reparties à la mi-mars pour une migration printanière rapide dans l'océan Atlantique. Les données du géolocalisateur ont révélé une ségrégation inattendue dans le temps et l'espace entre les populations de sternes sur la même voie de migration. Les sternes de la Baltique et des Pays-Bas ont voyagé plus tôt et à des longitudes est nettement plus orientales dans l'océan Indien et la zone antarctique que les sternes du Groenland. Nous suggérons une explication adaptative de cette tendance. Le système global de migration de la sterne arctique offre une possibilité extraordinaire de comprendre les valeurs adaptatives et les contraintes des cycles de vie pélagiques complexes, déterminées par les conditions environnementales (productivité marine, configuration des vents, trajectoires de basse pression, distribution de la banquise), les facteurs inhérents (performances de vol, mue, agrégation) et les effets des prédateurs/pirates et des concurrents."
Localisation des sternes arctiques baltes au cours du cycle annuel (Alerstam et al. 2019)

Référence:
Alerstam, T., J. Bäckman, J. Grönroos, P. Olofsson, and R. Strandberg. (2019). Hypotheses and tracking results about the longest migration: The case of the arctic tern. Ecology and Evolution (online).

Rédacteur: Olivier Dehorter